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NOTICE

passage de l’Apologie (22 a-c). Socrate, ne pouvant s’expliquer l’oracle de Delphes qui le désignait comme le plus savant des hommes, est allé interroger à Athènes ceux qui passaient pour posséder quelque savoir. Après les hommes d’État, il a consulté les poètes. Or il ne lui a pas fallu longtemps pour constater que « leurs créations sont dues non pas au savoir (σοφία), mais à un don naturel, à une inspiration divine (φύσει τινὶ καὶ ἐνθουσιάζοντες) analogue à celle des prophètes et des devins. Ceux-là en effet disent, eux aussi, beaucoup de belles choses, mais sans rien connaître à ce qu’ils disent ».

Même théorie dans le Phèdre (245 a). Platon y distingue diverses sortes de délire (μανίαι) envoyées aux hommes par les dieux. La première est celle qui inspire la Pythie de Delphes et les prêtresses de Dodone ; dans les cas de grandes calamités produites par des malédictions anciennes, la seconde a révélé les purifications et les rites d’initiation propres à y mettre fin. « Une troisième sorte de possession et de délire est celle qui vient des Muses. Lorsqu’elle s’empare d’une âme encore tendre et neuve, qu’elle la transporte, en lui inspirant des compositions lyriques et toutes les autres formes de poésie, et pare de ses charmes d’innombrables exploits des anciens, elle instruit les générations suivantes. Mais celui qui, sans ce délire des Muses, approche des portes de la poésie, persuadé apparemment que l’art suffira à faire de lui un poète, celui-là n’aboutit lui-même à aucun résultat, et son œuvre poétique, celle de l’homme de sang-froid, est éclipsée par celle des poètes en proie au délire ». Écoutons enfin l’Athénien des Lois (719 c) : « C’est un vieux propos, que nous n’avons cessé de tenir nous-mêmes et universellement admis, que le poète, quand il s’assied sur le trépied des Muses, n’est plus maître de sa raison ».

L’expression (θεία μοῖρα) employée pour définir ce délire sacré apparaît ailleurs chez Platon, notamment dans le Ménon, où elle s’oppose au mot science (ἐπιστήμη). Les grands hommes d’État, qui ont gouverné les cités sans l’aide du savoir, sont comparables aux prophètes, aux devins et aux poètes. Comme eux, on peut les appeler divins et inspirés (θείους εἶναι καὶ ἐνθουσιάζειν), car ils doivent au dieu qui les possède la faculté de dire ou de faire avec succès beaucoup de grandes choses sans rien savoir de ce dont ils parlent. La vertu n’est ni un don de nature, ni l’effet d’un enseignement, mais chez