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PHÈDRE

exemptes de dommage, c’est-à-dire sans doute admises à continuer leur existence céleste sans entrer dans la génération[1]. Deux cas peuvent alors se présenter : ou bien elles persévèrent pendant ce temps dans la manière d’être qui leur a valu cette récompense et elles se l’assurent ainsi à tout jamais ; ou bien elles n’y persévèrent pas et elles en sont punies, sans doute à la fin de la révolution, par une déchéance qui les plonge dans la génération. Cette déchéance à son tour peut avoir deux causes : ou bien l’âme n’a pas su garder son équilibre (cf. 247 b) et, devenue incapable de suivre docilement, elle a été privée de la contemplation ; ou bien elle est victime d’une malchance[2] qui la rend oublieuse des visions dont elle avait pu être favorisée et qui pervertit complètement sa nature : elle était chose légère et ailée, elle s’alourdit et perd ses ailes. La voici donc à terre[3]. Une compensation est toutefois promise à cette exilée, c’est qu’elle n’animera pas le corps de n’importe quel vivant, mais, à la première génération, seulement celui d’un homme.

Cependant, comme il y a des degrés dans la dénaturation préempirique des âmes, il doit y avoir aussi, en conséquence, une diversité qualitative dans leur existence empirique et une hiérarchie dans leur genre de vie à la suite de cette « première naissance ». Il y a donc un ordre prédestiné des

    traires ; voir les commentaires du Timée par T. H. Martin (II p. 78) et de A. E. Taylor (p. 216 sqq.).

  1. Ainsi comprend Hermias 163, 1-3, 9 sq. Il admet en outre que, s’il y a perpétuité dans cette continuation, cela ne peut être dû qu’à des Génies bienveillants (13 sqq.), comme d’ailleurs le contraire à de mauvais Génies (25 sqq.). Il est superflu d’ajouter que rien chez Platon n’autorise cette interprétation ; voir la note suivante.
  2. C’est, dans la vie céleste, le pendant de cette autre malchance dont il est question à 250 a 4 et qui fait perdre ici-bas tout souvenir des visions préempiriques. Il y a quelque chose d’analogue, mais à rebours, dans le mythe d’Er : avant de revenir dans la génération et après leur séjour dans la plaine brûlante du Lêthê, les âmes qui se sont trop largement désaltérées au fleuve Amélès oublient tout ce qu’elles ont appris depuis la mort et chez Hadès.
  3. La préposition dont se sert ici Platon (ἐπὶ et non εἶς) semble indiquer que ce n’est pas à la chute même qu’il pense (cf. 246 c), mais plutôt à ce qui doit résulter de la chute, une fois faite, pour l’avenir de l’âme dans la génération.