Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 3 (éd. Robin).djvu/82

Cette page a été validée par deux contributeurs.
lxxii
PHÈDRE

pourrait au contraire se développer et se mûrir, et notamment il l’éloignera de la philosophie : bon moyen pour que de l’amant il soit la chose et le jouet[1]. S’agit-il maintenant du corps (239 c 3-d 7) ? Il le voudra d’une complexion molle et sans vigueur, étranger dans le passé à une culture physique un peu sévère, déjà habitué au régime d’une vie efféminée, artificiellement embelli par les fards et les parures : ainsi, sans courage à la guerre[2]. S’agit-il enfin de la situation sociale de l’aimé (239 d 8-240 a 9) ? Par sa direction comme par sa société, l’amoureux n’est pas à cet égard moins malfaisant. Tous ceux qui, autour de celui qu’il aime, veulent à celui-ci le plus de bien, il en souhaite la disparition comme d’autant de gêneurs, particulièrement celle de ses proches. Afin d’être plus à l’aise pour le conquérir et pour le manier ensuite à sa guise, il le voudrait pauvre ou ruiné. Comme il n’accepte point de partage, il le détournera enfin le plus longtemps qu’il pourra de se marier et de fonder une famille.

La deuxième section concerne, non plus le dommage causé par l’amoureux à l’aimé, mais les sentiments de ce dernier, d’abord tant qu’en effet il est aimé, puis quand il a cessé de l’être. D’une part en effet (240 a 10-e 7), tant que dure sa passion l’amant passionné, bien différent en cela de ces autres plaies sociales que sont la courtisane ou le flatteur, est, sans compensation, insupportable pour sa jeune victime : il ne lui est pas assorti par l’âge et il prétend être, toujours et tout entier, à son service[3] ; mais c’est pour l’avoir plus complètement à lui, pour le soumettre à la tyrannie de sa présence ou de ses espionnages, pour l’assaillir tantôt de compliments outrés, tantôt d’injustes récriminations et, quand il aura bu, de grossiers outrages. Puis (240 e 8-241 c 6), quand s’est éteinte sa passion, il devient alors traître à ses engagements ; en revenant à la raison, il a en effet brisé tout lien avec son passé de folie[4]. Mais aussi, pourquoi l’aimé a-t-il été assez

  1. Ces considérations rappellent certains traits du discours de Pausanias dans le Banquet (181 b, d ; 182 b-d, 184 de). Cf. p. 23, n. 1.
  2. À l’opposé de ce que, dans le Banquet (178 e-179 b), Phèdre attend de celui qui est aimé d’amour et de ce qu’attestaient les « bataillons sacrés » des peuples doriens, tel celui de Thèbes.
  3. Cf. Pausanias dans le Banquet, 184 b-d.
  4. Comparer encore Pausanias, ibid., 183 e.