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PHÈDRE

c’est en vue d’être heureux par la possession de ce que l’on convoite ; si d’autre part on dit de certains hommes qu’ils aiment et que de certains autres on ne le dise pas, la raison en est qu’une espèce, l’amour au sens étroit, est désignée par un nom qui est celui du genre tout entier. Entre cette analyse et celle du Phèdre il y a toutefois de notables différences. L’analyse du Banquet est à la fois plus précise et plus nourrie ; elle se poursuit avec une magnifique ampleur dans le discours de Diotime. Par contre, deux traits qui sont totalement absents du Banquet s’imposent ici à l’attention : d’une part, le contraste de la modération et de la démesure ; de l’autre, l’idée de chercher dans les dénominations que le langage applique aux variétés de la démesure, un moyen de spécifier et de définir cet amour-passion dont parlait le discours de Lysias. Or c’est précisément parce qu’il s’agit d’un amour-passion que l’analyse devait être prise de ce biais. Mais d’un autre côté, puisqu’il est une démesure, cela nous donne à penser par avance qu’il y en a un autre dans le plan de la mesure, qui est une aspiration vers le meilleur et qui obéit à la rectitude : première anticipation du deuxième discours. — De plus, ce contraste entre la poussée irréfléchie des tendances instinctives et les inhibitions réfléchies de la raison n’a plus du tout la même signification que chez Lysias ; pour celui-ci en effet le premier terme signifiait avant tout imprudence et inconstance, le second, aptitude à bien calculer des intérêts matériels dans le présent et en vue de l’avenir. Au contraire, tel qu’il se présente maintenant, le contraste fait penser à la célèbre analyse du livre IV de la République (430 b-440 d), où Platon distingue les désirs, tels que l’amour ou la faim et la soif, qui mènent impérieusement à leur objet ce qu’il y a en nous de bestial, et la réflexion raisonnante qui toujours s’y oppose bien qu’avec des fortunes diverses. L’analogie de ces deux analyses suggère, une fois de plus, qu’à l’arrière-plan de celle du Phèdre il y a dès maintenant l’idée que développera le deuxième discours. Il existe dans l’âme deux forces diamétralement opposées, l’une de gouvernement et d’ordre, l’autre d’anarchie et de désordre ; s’il arrive cependant que, après avoir cédé à la seconde, on en ait du remords et qu’on veuille dans l’avenir prêter main-forte à la première, cela ne signifie-t-il pas l’existence d’une force moyenne, qui aidera la première à maîtriser la seconde ? Voilà ce que dit la