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NOTICE

S’appuyant sur ces témoignages anciens, bon nombre de critiques modernes ont admis l’authenticité du morceau[1], que ce soit d’ailleurs une lettre ou bien ce que les Anglais nomment un « Essai ». Il y aurait, dit-on, de la part de Platon une inconcevable stupidité à critiquer, avec l’âpreté qu’il y met (234 d-236 a et surtout 262 d-264 e), le discours de Lysias si la pièce était de sa main à lui, au lieu d’être connue pour être de Lysias et admirée sous son nom par bien des gens. Puisqu’il se proposait de montrer quels sont les défauts de Lysias dans ses compositions de rhéteur, pourquoi en aurait-il fait un pastiche plutôt que de prendre justement l’une de ces compositions ? Pourquoi, d’autre part, aurait-il commencé ce pastiche comme la suite d’autre chose et l’aurait-il, à chaque nouvelle lecture, repris de la même façon, si ce n’était réellement un fragment détaché d’une pièce authentique ? Pourrait-on en outre y chercher (262 cd) un « exemple » de l’absence d’art chez un écrivain, si cet exemple avait été fabriqué en vue de la critique et pour la justifier par avance ? Au surplus, Platon a tout fait pour nous épargner cette méprise : Phèdre, nous dit-il, a entendu Lysias lire le morceau, il lui en a emprunté le texte, il en a sur lui l’original ; autant de traits qui sont évidemment des-

    Fronton fût convaincu de l’authenticité du morceau, ni qu’il le considérât comme une lettre. L’envoi d’un écrit à quelqu’un n’est pas nécessairement une « missive ». De plus, à ce compte, il faudrait penser que Fronton considérait aussi comme une lettre le premier discours de Socrate. Or celui-ci, même si on en retranche l’invocation aux Muses qui précède le début proprement dit, ne commence nullement à la façon d’une lettre, ce qui devrait être si c’était déjà le cas pour le discours de Lysias ; c’est bien plutôt une histoire dans laquelle s’encadre explicitement un discours : « et son langage était celui-ci… ». Au surplus Platon parle toujours du λόγος de Lysias.

  1. La plus solide étude en ce sens, celle de Vahlen (Sitzungsb. de l’Acad. de Berlin, XXXIX, 1903), en bonne partie fondée sur des comparaisons de style, a décidé K. Hude à insérer la pièce dans son édition (Oxford 1912) ; ce que, par prudence, fait aussi M. Bizos (t. II du Lysias de la coll. Budé, 1926). Wilamowitz, Platon I², p. 259, laisse entendre qu’il s’agit là d’un fait entièrement avéré, et A. E. Taylor, dans son Plato (1926), p. 301 sq., estime qu’il est impossible sans absurdité d’en juger autrement. Voir dans Weinstock, p. 34 n. 1, une liste d’autres représentants de cette opinion.