Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 3 (éd. Robin).djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.
xxxvi
PHÈDRE


Le mythe des Cigales.

C’est en effet justement l’heure de la sieste : vont-ils l’employer à dormir, au lieu de discuter la question qui s’offre à leur examen ? Ils ne doivent pas, pareils à des esclaves ou à des bêtes, se laisser vaincre par la chaleur ; le chant ensorceleur des cigales ne les captivera pas, pour leur perte, comme dans l’Odyssée celui des Sirènes. Ils peuvent espérer au contraire que, d’avoir résisté à leurs enchantements en employant le temps à philosopher, cela leur vaudra l’avantage d’être signalés par ces déléguées et ces interprètes des Muses à celles d’entre ces dernières qui ont le plus noble rang. Elles sont nommées : c’est Calliope, l’aînée, et sa cadette, Uranie. Or la première est, d’après la tradition la plus ordinaire, muse de l’épopée et de l’éloquence, la seconde, de l’astronomie ; leur commune musique est la plus belle de toutes (p. 29 n. 1 et p. 60 n. 1). Je crois apercevoir là un ensemble significatif de notations. Il y a d’abord l’idée d’une hiérarchie parmi les Muses et dans l’ordre de leurs fonctions. Socrate leur avait demandé, à toutes indistinctement, l’inspiration de son premier discours, et on se rappelle où cela le conduisit. Or c’est quand il était parvenu au ton de l’épopée qu’il s’est refusé à continuer par peur d’un pire danger et qu’il a entendu l’avertissement de son Démon. Mais voici maintenant qu’il distingue entre les Muses et que, conformément d’ailleurs à la tradition, il donne à Calliope la première place. Est-ce au titre seulement de l’épopée et de l’éloquence ? La subordination d’Uranie, muse des choses du ciel, à l’égard de Calliope, suggère l’idée que la double fonction de celle-ci relève en effet de quelque principe commun, qui ne peut être que la philosophie[1]. Il y aurait donc là, au moins pour ce qui regarde l’éloquence, une sorte de présage de l’existence d’une rhétorique philosophique et de sa relation nécessaire avec l’étude du ciel et de la nature entière (269 d sqq., surtout e-270 c). Au surplus ce qui est dit de l’incomparable valeur de « la musique » de ces deux Muses est tout à fait dans le sens de ce qu’on lit dans le Timée (47 de), où les mouvements de notre âme, leur harmonie et leur rythme, sont

  1. Que Calliope fût chez les Pythagoriciens le nom de la philosophie (p. 60 n. 1), Maxime de Tyr (VII 2, 63) est seul à le dire, mais peut-être à bon droit ; cf. Empédocle, fr. 131 Diels.