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PHÈDRE

qui l’intéresse, et il croit que Socrate s’engage à changer la forme sans toucher au fond (235 d, 236 a-c) : le malentendu roule tout entier sur les mots autre et différent, qui dans son esprit ne doivent concerner que le vocabulaire et le style. C’est de quoi justement le raille Socrate quand il lui donne à entendre (235 e sq.) que, à moins de changer la donnée, il n’y a pas réellement de nouveauté possible. Mais la violence exercée sur lui par Phèdre le contraint de garder la donnée de Lysias. En dépit du comique de la scène et qui d’ailleurs est surtout dans le rôle de Phèdre, sa défense n’est pas feinte ; pas davantage la honte qu’il ressent d’avoir à parler contre la vérité, et le geste de se voiler la face en est l’expression visible (236 b-237 a). Enfin, nouvel indice de cette annonce implicite, que j’ai cru apercevoir, d’une nouvelle position à prendre sur la question, il observe une fois de plus avec force (237 b) que la position actuelle est purement conventionnelle et qu’elle ne répond à aucune réalité. Concluons : si l’amour était le sujet de Phèdre, le second discours, déjà près d’éclore, viendrait maintenant ; ce ne serait pas une « palinodie », une rétractation à l’égard de soi-même, mais la réfutation d’un autre. Et d’un autre côté, si la rhétorique était le sujet, il n’y aurait lieu ni à rétractation ni à réfutation : le premier discours suffirait, avec le progrès rhétorique qu’il marque à l’égard du discours de Lysias. Ainsi s’affirme de nouveau la solidarité des deux sujets entre lesquels on a voulu écarteler le Phèdre. La vérité est donc qu’il n’y a qu’un seul sujet.

Au moment où, dans son premier discours, Socrate en vient à parler de l’amour en tant que forme particulière de la sensualité (238 bc), il s’interrompt pour noter que son éloquence a perdu sa froideur méthodique, qu’elle touche presque au ton du dithyrambe, qu’elle semble enfin procéder de quelque inspiration divine. Quelle inspiration ? Serait-ce ce mystérieux influx dont il se sentait tout à l’heure envahi (235 cd) et qui se manifestait à lui par l’éveil imprévu dans sa mémoire d’une tradition vénérable de l’Antiquité ? De fait il n’en est plus question, et ce qu’il allègue maintenant, ce sont des influences presque physiques, une magie inhérente au lieu où ils sont et attestée par les consécrations religieuses dont il porte le témoignage : c’est Pan, divinité des champs et des troupeaux, ce sont les Nym-