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PHÈDRE

plus qu’il n’y a dans ces cours qu’on écoutait jadis, du temps qu’on fréquentait l’école. Mais, lorsqu’on est suffisamment en état de se prononcer sur la sorte d’homme que convaincra telle sorte de discours, lorsque, l’ayant à côté de soi, on est capable de voir clair en lui et de se faire à soi-même la leçon voulue : « Voici l’homme, 272 et voici la nature dont jadis il était question dans mes cours : maintenant c’est en réalité qu’elle est devant moi et que j’ai à lui appliquer le langage que voici, de la manière que voici, en vue de faire naître la conviction que voici » ; — du moment, dis-je, qu’on a réuni toutes ces conditions ; qu’on y a joint les conjonctures dans lesquelles c’est le temps de parler et celui de s’abstenir[1] ; qu’à leur tour style concis, style apitoyant, indignation véhémente, et toutes les formes de discours qu’on aura appris à distinguer, on en sait discerner l’opportunité aussi bien que l’inopportunité, — c’est alors que l’Art a atteint la beauté, la perfection de son achèvement : jusque-là, non. Disons-le plutôt : si une partie quelconque de cet ensemble b fait défaut à l’orateur, au professeur, à l’écrivain, il aura beau affirmer la conformité de son langage avec l’Art, c’est à celui qui n’en croit rien que revient l’avantage. « Eh bien ! que conclure ? » dira peut-être notre auteur[2], « est-ce là votre opinion, Phèdre et Socrate ? Ou bien faut-il admettre quelque autre définition de l’art oratoire ? »

Phèdre. — Il est, je crois bien, impossible qu’il y en ait une autre, Socrate : ce n’est pourtant pas une petite affaire !

Vérité et vraisemblance.

Socrate. — Tu dis vrai : c’est justement la raison pour laquelle il faut retourner en tout sens toutes les théories et, ainsi, examiner si par hasard ne s’offre pas à nos yeux un chemin plus aisé et plus court c qui mènerait à cet art, et qui nous éviterait de nous en aller en pure perte sur une route longue et raboteuse, quand nous en avons une qui ne l’est pas et tout unie. Mais si par hasard quelque moyen de nous aider est en ton pouvoir, toi qui as été l’auditeur de Lysias ou de tel autre, essaie de nous en faire part en rappelant tes souvenirs !

  1. Ce que, pour le corps, fait le médecin (268 b et 270 b).
  2. Celui qui traite de la rhétorique en homme sérieux (271 a), et dont ensuite Socrate se fait le porte-parole (ibid. c mil.).