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PHÈDRE

appelé la vague de désir[1]. Une fois que l’âme l’a reçu, sa vitalité est stimulée, elle s’échauffe ; alors elle se repose de sa souffrance, d elle est dans la joie. Qu’elle vienne au contraire à en être isolée et qu’ainsi elle se flétrisse, alors les embouchures des pertuis par où la plume se fait sa route se sèchent toutes ensemble et, s’étant fermées, interceptent le germe de la plume. Mais celui-ci, ayant été, en commun avec la vague de désir, intercepté dans l’intérieur de l’âme, saute à la façon d’un pouls qui bat fort ; il vient gratter dans les pertuis, chaque germe à chaque pertuis ; si bien que, tout entière encerclée de piqûres, l’âme bondit follement sous la douleur, tandis que le souvenir qu’elle a du bel objet la met en revanche dans la joie. Le mélange de ces deux sentiments fait qu’elle se tourmente de ce qu’il y a de déroutant dans son état, e et aussi qu’elle enrage de ne pouvoir en sortir[2] ; dans le délire où elle est, elle ne peut, ni dormir la nuit, ni pendant le jour demeurer en place ; mais elle court, pleine de convoitise, aux lieux où, pense-t-elle, elle pourra voir celui qui possède la beauté. Or, quand elle l’a vu, qu’elle a fait dériver vers elle la vague de désir, elle commence alors à dégager ce qui auparavant était obstrué : elle a repris son souffle, pour elle c’en est fini des piqûres ainsi que du douloureux travail, et c’est en quoi aussi elle cueille pour l’instant le plaisir le plus délicieux. 252 Voilà certes une condition de laquelle elle n’accepte pas volontiers d’être éloignée, et il n’y a non plus personne dont elle fasse plus de cas que du bel objet : mères, frères, camarades, tout cela est au contraire oublié ; la perte des biens, fruit de son incurie, ne compte à ses yeux pour rien ; les bons usages et les belles manières, dont jusqu’alors elle faisait sa parure, sont englobés par elle dans un même dédain ; elle est prête à l’esclavage, elle est prête à dormir où on lui donnera permission, au plus près de ce qu’elle convoite[3] ! C’est que, non contente de vénérer l’être qui possède la

  1. Le mot grec est himéros, dont respectivement les trois syllabes traduiraient (cf. 251 bc) les idées de mouvoir en avant (hiénaï) les particules (mérê) d’un courant (rhoê). Cf. Crat. 420 ab et p. 32, 1.
  2. À l’atopia (p. 5, 4) se lie l’aporia, incapacité de trouver issue.
  3. Avec 251 e déb. comparer Banquet 183 a (Pausanias), 203 d