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PHÈDRE

« Il existe assurément bien des maux divers[1]. À la plupart d’entre eux néanmoins b un dieu, sur le moment, mêla du plaisir : ainsi le flatteur, c’est une terrible bête et grandement nuisible, et pourtant la nature y a mêlé un certain plaisir qui n’est pas sans saveur ; d’une courtisane aussi, comme d’une chose nuisible, on vous fera grief[2] ; sans parler d’une foule de créatures et de pratiques analogues, qui ont la propriété d’être, au moins pour un jour, on ne peut plus agréables. Il n’en est pas ainsi de l’amoureux par rapport à ses amours : il n’est pas nuisible seulement, son assiduité journalière fait de lui tout ce qu’il y a de plus désagréable. Chaque âge en effet, c c’est un vieux proverbe[3], fait ses délices de ce qui est de son âge : être du même temps porte, j’imagine, aux mêmes plaisirs, et cette similitude a l’amitié pour effet ; ce qui n’empêche, il est vrai, la satiété d’être inhérente, même à de telles relations. C’est la vérité aussi que la contrainte est, à son tour, qualifiée de pesante, pour tout le monde et en tout ; ce qui évidemment, en outre de la différence des âges, est au plus haut degré le cas de l’amoureux envers ses amours : dans ses relations avec quelqu’un de plus jeune, l’homme plus âgé n’accepte en effet pas volontiers d’être délaissé, ni jour ni nuit. Mais alors, c’est par la contrainte d et sous l’aiguillon qu’est mené celui qui, pour l’homme dont je parle, est la source perpétuelle des jouissances qu’il goûte à le voir, à l’entendre, à le toucher, à sentir par tous les sens son aimé ; si bien que ce sont des jouissances qui accompagnent son ferme assujettissement au service de celui-ci. Quant à l’aimé, comment l’encourager, ou quels plaisirs lui donnera-t-il à goûter pour faire que, à égalité de temps, ce commerce ne l’amène pas à l’extrême point du déplaisir ? oui, quand ce qui s’offre à sa vue, c’est la vision d’un être déjà âgé et qui n’est pas

  1. Les sentiments qu’un amant amoureux inspirera à son aimé sont l’objet de la quatrième section : d’abord, tant que dure sa passion, il est insupportable ; puis (240 e-241 c), celle-ci éteinte, il devient un ingrat. De lui on ne peut donc espérer un plaisir qui compense vraiment les désagréments et les dommages dont il est la cause.
  2. Flatteur grugeant les riches, courtisane plumant les jeunes gens, sont des types traditionnels : celui-ci, surtout de la comédie moyenne.
  3. Le proverbe complet dit : « À chaque âge plais-toi avec qui a ton âge ; mais, vieux, plais-toi avec un vieux. »