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PHÈDRE

Phèdre. — C’est tout à fait mon avis, Socrate. On n’est pas habitué à te voir ainsi emporté par le flux de l’éloquence !

Socrate. — Chut ! alors, et écoute-moi. C’est que, tout de bon, l’endroit a bien l’air d’être divin ! De sorte que, si des fois, d avec le progrès de mon discours, j’en viens à être un possédé des Nymphes, ne t’en étonne pas. De fait, les paroles qu’à présent je profère ne sont plus bien loin d’être dithyrambiques !

Phèdre. — C’est très vrai, ce que tu dis là.

Socrate. — À toi la faute, sais-tu bien ! Mais écoute la suite : il pourrait se faire que se détourne de moi ce que je sens venir ; ceci, après tout, ce sera l’affaire du dieu ; la nôtre est de revenir au discours qui s’adresse au jeune garçon.

Reprise.

« Eh bien ! donc, mon brave, quel est précisément l’objet sur quoi il s’agit de délibérer, voilà, c’est chose dite et définie. Les yeux donc là-dessus fixés, ce qu’il nous reste encore e à faire, c’est de dire quelle utilité ou quel dommage, pour qui accorde ses faveurs, doit probablement résulter aussi bien de l’homme qui aime que de l’homme sans amour. Eh bien ! dis-je[1], quand on est gouverné par le désir, quand on se fait l’esclave de la jouissance, forcément on doit, semble-t-il, s’arranger à obtenir de l’aimé la plus grande somme de jouissance. Or une inclination malade s’enchante de tout ce qui ne la contrarie pas, déteste ce qui est supérieur ou égal. Donc, ni supériorité, 239 ni égalité ne seront par l’amoureux de bon gré supportées chez ses amours ; mais toujours au contraire il travaille à leur abaissement et à leur infériorité. Or l’ignorant est au-dessous du savant ; le poltron, au-dessous du brave ; le parleur inhabile, de celui qui a appris la rhétorique ; celui qui a l’esprit a lent, de celui qui l’a vif. Quand chez l’aimé l’intelligence a de pareilles faiblesses et bien d’autres encore, forcément

    qu’il prononcera ensuite. À présent, son état de possession, son enthousiasme, doivent venir (cf. 241 de, 262 d, 263 d) des divinités de ce lieu champêtre, et si, en traitant un sujet glacé, il en est venu au ton du dithyrambe, c’est-à-dire d’un chant bachique, c’est qu’un délire nympholeptique déjà le menace, et c’est pour y échapper qu’il interrompra (241 c) ce qu’il appelle ici le progrès de son discours.

  1. Socrate, dans son discours, reprend tous les éléments de celui