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PHÈDRE

à nommer l’homme qui la possède : une dénomination sans honneur et qui n’est guère précieuse ! Est-ce par exemple à la mangeaille que se rapporte le désir par lequel sont dominés, et la raison du meilleur, et le reste des désirs ? Voilà la gloutonnerie, dont le nom servira précisément aussi à désigner b celui chez qui elle existe. Est-ce d’autre part aux excès de boisson qu’a rapport ce désir tyrannique ? Puisque c’est de ce côté qu’il mène l’homme dont il est devenu l’apanage, il n’y a pas de doute sur l’épithète dont celui-ci sera gratifié. Et ainsi du reste : en ce qui concerne les noms apparentés à ceux-ci, et qui sont ceux de désirs eux-mêmes apparentés, le nom qu’il convient d’employer pour un désir dont le despotisme est sans relâche, ce nom est de toute évidence. Or, quel est le but où tend tout ce qui a été dit précédemment ? Peu s’en faut sans doute qu’il ne soit manifeste ; il est, en tout cas, plus sûr de le faire entendre que de le sous-entendre ! Le désir, dirai-je, qui, dépourvu de raison, prédomine sur un élan réfléchi vers la rectitude, c quand il se porte au plaisir que donne la beauté et quand, fortement renforcé à son tour par les désirs de sa famille dont la beauté corporelle est l’objet, il s’y porte victorieusement, alors, empruntant sa dénomination à sa rhômè, à sa force, il a reçu le nom d’Éros ou d’amour… »[1]


Pause :
une inspiration perce déjà.

Eh mais ! ne te fais-je point, mon cher Phèdre, l’effet que je me fais à moi-même, d’être dans un état qui tient du divin[2] ?

    par contre, très claire : Socrate passe en revue les formes de la démesure, dont chacune est dénommée d’après l’espèce de plaisir qui est l’objet du désir, plaisirs du manger, du boire, de l’amour charnel. C’est une désarticulation des membres du genre (cf. 265 e sqq.) et qui répond à peu près à l’analyse du Banquet, 205 a-206 a.

  1. Le français ne peut rendre la cascade de jeux de mots à laquelle s’amuse ici Platon : la racine rhô, que sa fantaisie étymologique veut retrouver dans éros, amour, est authentiquement constitutive des mots grecs qui ont été traduits par fortement, renforcé, force.
  2. Cette pause, avec tout ce qui la suit jusqu’à la reprise, prépare de loin la distinction (265 ab, 266 a) de deux délires, auxquels semblent respectivement se rapporter ce discours de Socrate et celui