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PHÈDRE

Socrate. — Comme c’est amical de ta part, Phèdre ! Et quelle nature d’or tu es en vérité, si tu te figures qu’à mon avis Lysias a totalement manqué son affaire et que par suite il est possible, point par point, de parler toujours autrement qu’il n’a fait : voilà qui n’arriverait même pas, je crois, au plus médiocre des écrivains ! Tiens, prenons le sujet du discours : avec cette thèse qu’il faut accorder ses faveurs à celui qui n’aime pas plutôt qu’à celui qui aime, qui crois-tu capable, s’il renonce 236 à célébrer la prudence du premier, à blâmer l’imprudence du second — développements qui a tout prendre s’imposent —, de trouver après cela quelque chose encore à dire ? De pareils thèmes, je crois au contraire qu’il y a lieu de les passer à l’orateur, de les lui pardonner, et que, pour tout ce qui est du même genre, ce n’est pas l’invention, c’est plutôt l’arrangement, qu’il y a lieu de louer ; tandis que, pour ce qui ne s’impose pas et dont l’invention est difficile, c’est, outre l’arrangement, l’invention qui est à louer.

Phèdre oblige Socrate à traiter le thème de Lysias.

Phèdre. — Je me rends à ces considérations ; il y a en effet du bon, à mon avis, dans ce que tu viens de dire. Voici donc ce que pour ma part je ferai : que l’homme amoureux est plus malade que celui b qui n’aime pas, telle est la thèse que je te donnerai pour point de départ ; quant au reste, différence du fond, abondance plus grande et plus grande valeur de ton discours comparé à celui-ci, c’est dit : je te veux en pied, or martelé, à Olympie, à côté de l’offrande des Cypsélides[1] !

Socrate. — As-tu, Phèdre, pris la chose au sérieux parce que, en te taquinant, je m’attaquais à tes amours ? Et te figures-tu par suite que, tout de bon, je vais entreprendre, en parallèle avec un personnage de ce talent, de dire du nouveau avec un surcroît de variété ?

Phèdre. — Voilà en vérité, mon cher, où t’attend la pareille et tu y es venu te faire prendre ! Tu n’as plus qu’à parler et c à t’en tirer comme tu pourras. Évitons d’en être réduits à faire des comédiens le piètre métier, en échangeant

  1. Les descendants de Cypsélus, père de Périandre, le fameux tyran de Corinthe et l’un des Sept Sages. Sur cette offrande, on ne s’accorde pas mieux que sur celle des neuf Archontes (235 de).