Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 3 (éd. Robin).djvu/224

Cette page a été validée par deux contributeurs.
234 d
14
PHÈDRE

Socrate. — Disons mieux, cela tient du divin, mon camarade, au point que j’en suis tout étourdi ! Et cette impression, c’est à toi, Phèdre, que je la dois : j’avais les yeux sur toi et, pendant ta lecture, tu me semblais tout illuminé par ce discours et, vois-tu, dans la conviction qu’à ces sortes de choses tu t’entends mieux que moi, je me mettais à ta suite, et, m’y étant mis, je suis avec toi entré dans la bacchanale[1], oui avec toi, tête divine !

Phèdre. — Allons bon ! C’est comme cela, alors, que tu trouves bon de plaisanter ?

Socrate. — Ainsi je te fais l’effet de plaisanter et de n’être pas sérieux !

Phèdre. — e Point du tout, Socrate. Mais la vérité vraie, dis-la-moi, au nom du Zeus de l’Amitié[2] : penses-tu qu’il puisse y avoir en Grèce un autre homme capable de prononcer sur le même sujet un second discours qui ait plus d’élévation et d’abondance ?

Critiques de Socrate.

Socrate. — Eh quoi ! est-ce aussi notre devoir, à moi comme à toi, de louer le discours, de ce que l’auteur y a dit les choses qu’il fallait[3] ? et non pas plutôt, de ceci seulement que sa langue est nette et précise et chaque mot exactement fait au tour ? Si nous avons en effet ce devoir, c’est bien à cause de toi qu’il faudra le reconnaître ; car, à moi du moins, en raison de ma nullité l’idée ne m’en était point venue ! 235 C’est que, seule, la rhétorique du morceau avait attiré mon attention, et, pour ce qui est de l’autre point, non, pensais-je. Lysias lui-même ne pense pas y avoir satisfait. En somme, mon sentiment à moi, Phèdre, c’est, sauf objection de ta part, qu’il dit les mêmes choses deux et trois fois, comme si, pour rester dans le sujet, son éloquence était passablement à court de matière, ou que, peut-être bien, une question de ce genre fût pour lui sans aucun intérêt. Il me faisait dès lors l’effet d’un jouvenceau qui s’évertue à faire montre du talent qu’il a, en disant les mêmes choses comme ceci et puis comme cela, de les exprimer en perfection d’une façon comme de l’autre.

  1. Le délire corybantique de tout à l’heure (cf. p. 3, n. 3).
  2. Phèdre a besoin d’être confirmé dans la ferveur de sa foi.
  3. C’est un point que Socrate développera 235 e sq.