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PHÈDRE

vivra sans changer d’un bout à l’autre de l’existence ; pas davantage quiconque, quand sa passion aura pris fin, cherchera à l’inimitié de mauvaises raisons, mais ceux pour qui, quand il en sera pour toi fini de ta fleur, b ce sera le moment de faire montre de ce qu’est leur propre mérite. Toi, donc, garde le souvenir de mes paroles ; réfléchis à ce point, que ceux qui aiment reçoivent de leurs amis des représentations sur le mal qu’il y a dans une telle pratique et que, au contraire, ceux qui n’aiment pas ne s’entendent jamais reprocher par personne de leur famille d’être ainsi conduits à mal consulter leur intérêt personnel.

« Probablement me demanderas-tu enfin si c’est indistinctement à quiconque n’aime pas que je te conseille d’accorder tes faveurs. Pour ma part, je pense que l’homme qui aime ne t’engagerait pas davantage à avoir cette pensée à l’égard, indistinctement, de ceux qui aiment : c pour qui fait bien son compte, cela ne mériterait pas gratitude égale et, pour toi qui souhaites que les autres n’en sachent rien, ce ne serait pas pareillement possible. Or il ne faut pas que de cela rien provienne qui soit dommage, mais, au contraire, de l’utilité pour tous les deux. Quant à moi, j’estime qu’il suffit de ce que je t’ai dit. Si tu as pourtant regret de quelque omission qu’à ton jugement j’aurais commise, interroge ! »


Comment trouves-tu ce discours, Socrate ? N’est-ce pas, à tous les égards, une merveille d’éloquence, et spécialement pour le d vocabulaire[1] ?

    que soient les différences de forme et de fond, il y a quelque analogie entre ce réquisitoire purement fictif contre la passion et la franche apologie de l’amour dorien par le Pausanias du Banquet.

  1. Il suffit de lire le discours de Lysias pour en sentir la monotone sécheresse. C’est justement ce que Socrate observera un peu plus loin (235 a) et, avec plus d’insistance encore, 263 c-264 e. Ce que Phèdre, lui, y juge spécialement admirable, c’est ce qu’on a appelé de notre temps une « écriture artiste », une sorte de ciselure verbale, s’accommodant de la plus pauvre matière. Voilà ce que lui concède en effet Socrate (234 e) : la langue de Lysias est claire et précise, chaque mot y est soigneusement travaillé sur le tour : clarté sans force, sèche précision, virtuosité toute mécanique.