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PHÈDRE

été rendu responsable des vices de l’art idéaliste, de ce qu’il a d’artificiel et d’abstrait. Or, ce qu’il a voulu dans le cas dont il s’agit, c’est qu’on ne fît pas consister l’art de la parole en artifices conventionnels propres à produire l’illusion et à dénaturer la réalité des valeurs morales ; c’est que, au lieu de s’appliquer à imiter le travestissement qu’inflige à ces valeurs une vie sociale corrompue, on fît effort pour en imiter la réalité vraie, en se donnant toutes les peines imaginables pour la chercher et pour la déterminer par la pensée avec exactitude. Qui voudrait lui en faire un grief ? Il l’a dit, dans le Phèdre même, avec une force admirable (273 e sq.) : il ne s’agit pas de parler de façon à complaire aux préjugés et aux mensonges de la société dans laquelle nous vivons ; ce qu’il faut, c’est chercher inlassablement la vérité et avoir le courage de la dire ; par là se justifie la pénible longueur d’un si grand effort, et celui-ci communique aux discours qui en sont les fruits sensibles la beauté de l’idéal vers lequel il tendait.

IV. Interprétation historique. — Quelles que soient les différences de l’attitude actuelle de Platon à l’encontre de la rhétorique, comparée à celle que manifestait le Gorgias, c’est encore une opposition très vive. Ceux qui estiment que dans le Phèdre elle s’est considérablement atténuée, que Platon y distingue entre l’École sicilienne et une École attique dont Gorgias serait le chef et pour laquelle il aurait plus d’indulgence, ceux-là n’ont guère d’autre raison de le penser que le compliment final adressé à Isocrate, élève de Gorgias. Mais c’est justement une question de savoir si c’est bien un compliment. Or on ne peut, sans pétition de principe, juger de l’attitude présente de Platon en se fondant sur un passage dont l’interprétation est subordonnée à ce jugement même. Il faudrait en outre savoir de façon certaine si c’est réellement contre le seul Lysias qu’est menée la bataille. Par malheur, notre connaissance des milieux littéraires du ive siècle n’est ni assez complète ni assez précise. Faute de pouvoir établir avec quelque assurance la relation chronologique des œuvres, nous ne pouvons, sans risquer de nous fourvoyer complètement, faire l’histoire des polémiques dont ces œuvres portent la trace. Sur ce point encore le vice des inférences est le même : tantôt on conjecture les