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PHÈDRE

réflexion la plus commune et dont chacun donne lieu à une antithèse facile : richesse et pauvreté, jeunesse et vieillesse, passion brûlante et froid calcul, amour et amitié, etc. (par ex. 227 cd, 235 e, 267 c).

L’invention.

Certes, il est impossible de méconnaître la nécessité de tels développements : ce serait renoncer à dire sur chaque sujet ce qu’il appelle naturellement. Mais ce qu’on reprochera à l’enseignement rhétorique, c’est de voir là-dedans le domaine privilégié de l’invention : ce n’est pas être original que de prendre sur tout sujet le contre-pied de ce qui est raisonnable et de se complaire aux paradoxes. Gonfler de petits sujets pour les faire paraître grands, évider les grands pour qu’ils semblent petits, faire du vieux avec du neuf ou du neuf avec du vieux, rien de tout cela non plus n’est inventer ; c’est seulement donner à des banalités un certain arrangement : tant qu’on s’en tient à des thèmes inévitables, mais rebattus, il n’y a pas place pour l’invention, et c’est là justement quelque chose qui ne se laisse pas formuler en précepte, mais un don de nature (236 a, 267 ab, 268 c). À la vérité, quand les rhéteurs énoncent à quelles conditions on peut, à leur école, devenir un bon orateur, ils ne manquent pas de joindre les dons naturels à l’instruction et à l’exercice (269 d) : en quoi ils ne se trompent pas. Ce n’est pas toutefois par leurs méthodes que cela se fera : la façon superficielle dont ils comprennent l’instruction et le savoir fait que les dons naturels ne signifient plus qu’une agile dextérité dans l’usage des artifices qu’ils ont enseignés, et les exercices par lesquels ils prétendent la faire acquérir ne sont qu’une parodie de culture. Pour atteindre le but ils se flattent d’avoir trouvé la voie la plus courte et la moins pénible (272 d) ; mais la vérité est que leurs élèves n’apprennent d’eux que l’ABC d’un art, et qu’eux-mêmes d’ailleurs, à moins de supposer qu’ils en gardent perfidement le secret, ils ne possèdent pas l’art qu’ils enseignent. Affaire donc au disciple, une fois achevé son cours d’études, de se débrouiller tout seul en face des réalités, d’organiser son discours par rapport aux conjonctures et d’apprécier les questions d’opportunité ! Au lieu d’une base solide de la pratique, tout ce qu’ils lui ont donné ce sont des « corrigés » : ces misérables modèles, tout pleins d’artifice et de convention, n’ayant hors d’eux-mêmes