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PHÈDRE

dans laquelle une des deux parties en présence cherche à persuader lecteur ou auditeur, pour faire triompher la thèse qu’elle défend. En vue d’y réussir, on s’appliquera d’abord à dissimuler aux yeux de ceux-ci l’ambiguïté de ce qui est en cause et, au lieu de se mettre là-dessus d’accord avec eux, à les empêcher au contraire de s’en faire une idée nette, à éviter soi-même de le définir préalablement ; d’un autre côté, on fera en sorte de si bien embrouiller les choses en les jetant toutes pêle-mêle que, faute de pouvoir s’y reconnaître, ils passeront à leur insu de la réalité à son contraire. C’est de quoi justement témoigne à merveille le discours de Lysias. Mais si, pareil au rhapsode, on débite ainsi des choses dont on n’a pas auparavant examiné si elles sont vraies, comment ne se laissera-t-on pas prendre soi-même au piège de l’illusion dont on cherche à duper autrui ? La conclusion, c’est que, sans la connaissance du vrai, la composition oratoire ne peut obéir qu’à de mystérieuses « nécessités logographiques » ; qu’il n’y a là par conséquent qu’une routine misérable et un tour d’adresse qui n’est pas transmissible (258 e-264 e ; cf. 273 d, 277 e fin).

Enseignement.

Mais précisément ce qu’assure la rhétorique, c’est qu’elle serait une technique pouvant être enseignée et acquise sans qu’on eût aucune connaissance du vrai. Voici donc le second point de vue : comment enseignerait-on un art dont on vient de dire qu’il n’en est pas un ? Or c’est un fait (266 d-267 e) qu’il y a des traités de rhétorique qui contiennent, dit-on, une foule de merveilles, et qu’il y a des écoles où se donne cet enseignement (266 d ; 269 c ; 271 c déb., e ; 272 c). C’est un fait aussi qu’il y a eu, qu’il y a des maîtres qui ont acquis une grande renommée et qui se font payer très cher (266 c), si soucieux d’ailleurs de graver leurs préceptes dans l’esprit des élèves qu’ils ne dédaignent pas de les consigner en vers mnémotechniques (267 a). Mais, au vrai, que renferment ces traités et qu’apprend-on de ces maîtres dans leurs écoles ? Rien de plus que des expédients qui ont réussi en diverses occasions et dont on donne la formule (σχῆμα, figure) ; ou bien des « lieux communs », développements passe-partout qui serviront à n’importe quel sujet ; ou bien enfin des conseils et des règles qui n’ont rapport qu’à la forme littéraire, soit au style, soit au vocabulaire.