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PHÈDRE

si telle est sa fonction, il ne peut s’en acquitter sans une discipline qui règle ses aspirations, sans une « méthode » qui les empêche de se détourner de leur but : discipline progressive, car elle gravit successivement une suite d’échelons, allant de la beauté sensible des corps à la beauté intellectuelle des connaissances ; et en même temps, à chacune de ses étapes, elle détache l’amour des attachements individuels ou même spéciaux. Le terme en est, pour qui aura été convenablement initié par un guide instruit de la route qui y mène, une révélation soudaine, celle de la Beauté absolue : entre celle-ci et la multiplicité des choses belles qui sont dans le devenir, il n’y a point de parité ; ce n’en est pas une généralisation, mais elle est une par elle-même, étant l’essence intelligible du Beau en soi et par soi.

Les nouveautés du Phèdre.

Tels sont les principaux enseignements du Banquet. Il y a dans la forme qui leur est donnée une remarquable variété : dans la relation des entretiens de Socrate avec Diotime ou dans le discours de la prophétesse, les élévations lyriques accompagnent l’emploi du mythe ; dans la discussion avec Agathon, la recherche est conduite dialectiquement ; enfin dans le discours d’Alcibiade le tour devient dramatique lorsque Socrate, incarnation de la philosophie, nous apparaît comme la vivante image de l’amour (Banquet, Notice p. ciii sqq.). — Dans la façon dont le Phèdre à son tour traite le problème il y a d’évidentes analogies. Le discours de Lysias et le premier discours de Socrate sont l’équivalent des points de vue incomplets des cinq premiers discours du Banquet. D’autre part Stésichore, le poète, tient la place de la prophétesse Diotime : seuls des inspirés sont capables de prendre sur l’amour le point de vue qu’il faut. Mais, tandis que l’amour est l’unique sujet du Banquet, le Phèdre unit, par un lien très serré malgré la complication de ses inflexions, le problème de l’amour au problème de l’éducation. À qui doit appartenir la formation intellectuelle et morale de la jeunesse ? Est-ce à la rhétorique et à sa technique toute formelle de l’illusion, qui fera triompher une vraisemblance où il n’y a point de vérité[1] ?

  1. Il faut du reste noter que, dans le cadre limité du Banquet, le problème de savoir ce que vaut la formation rhétorique de la pensée a sa place : cf. 198 d-199 b.