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NOTICE


3. L’amour.

Dans la notice du Banquet, j’ai cru devoir remettre à maintenant le soin de fixer, autant que possible, les traits de la conception que Platon se fait de l’amour[1].

L’amour apparaît dans le Banquet comme le grand mystère de l’existence : en lui s’opère en effet une synthèse des opposés qui semblent le moins préparés à s’unir. L’aspiration qui le constitue n’est-elle pas le fruit de la rencontre et de l’union de deux dispositions tout à fait contraires ? L’une est la conscience douloureuse de ce qu’il y a en nous d’indigent et de borné ; l’autre est le sentiment exalté de l’inépuisable richesse de nos ressources inventives. Quand le cœur est mis en fête par le spectacle de la beauté, cette exaltation devient une ivresse, dans laquelle à la fin il s’endort ; et c’est l’occasion d’une entreprise où l’élément douloureux espère se relever de sa misère. C’est de ce jeu rythmé des contraires que naît Amour, fils de Pauvreté et d’Expédient ; Amour dont l’existence est faite de découragement et d’espoir, de timidité et de hardiesse, d’ignorance consciente et d’ardeur pour savoir : nature dans l’unité de laquelle se fondent des opposés qui tour à tour s’annulent sans jamais briser la solidarité qui les unit. Voilà pourquoi il y a dans l’amour une aspiration qui jamais n’est assouvie vers le beau et vers le bon, une mobilité qui se réveille inlassablement, une force d’expansion en vertu de laquelle il ne fait défaut à aucune des sphères de l’existence, à la fois moteur de la « roue des générations » et âme de la philosophie. C’est que l’amour a pour objet la création dans la beauté ; c’est qu’il représente l’effort de la nature mortelle, aussi bien dans l’ordre de la chair que dans celui de l’esprit, pour s’immortaliser autant qu’elle le peut : un effort qui jamais n’atteint pour toujours le terme où il tend et qui pourtant jamais ne s’éteint, un effort qui est le ressort même de la vie, de la vie spirituelle comme de la vie physique. L’amour est donc une synthèse de mortel et d’immortel ; il joint mystérieusement l’un à l’autre deux mondes qu’un abîme semblait séparer ; il refait ainsi l’unité du Tout. Mais,

  1. Voir p. lxxix et p. xciv sq. — Il va sans dire que, dans ce qui suit, je laisse de côté les cinq premiers discours du Banquet, puisqu’ils ne représentent pas le point de vue de la philosophie sur la question.