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PHÈDRE

dination nécessaire de l’Autre à l’autorité du Même, organisation réglée du divers par l’identique, unification harmonieuse du multiple par l’un (51 d-52 a ; cf. 35 a fin).


La chute.

Mais, s’il en est ainsi, pourquoi ce qui, même sans être dieu, était du moins divin a-t-il perdu sa divinité ? Pourquoi la plénitude d’un être achevé, et dont toutes les fins sont atteintes dès qu’il est, se dissout-elle parfois dans l’infinité sans borne des désirs et dans le dérèglement ou la méchanceté qui en résultent ? Pourquoi la chute ? Le Phèdre explique celle-ci par une faute originelle et il y ajoute une prédestination. De toute façon il accepte qu’il y ait des élus et des réprouvés. D’abord c’est une nécessité qu’il y ait des âmes de dieux : une sorte d’isonomie veut en effet, puisqu’il y a des hommes, qu’il y ait des dieux ; autrement, le Tout ne serait pas le Tout (cf. Timée 41 bc et ici p. cx et cxxiv). Il y a donc des âmes qui seront, de nature, exclues de cette dignité ; dont les chevaux ne seront pas des pur-sang, dont les cochers seront malhabiles : bref, des âmes qui seront condamnées d’avance au risque de la chute. Or ce qui les perdra, ce qui par suite les privera de la contemplation des Idées, ce sera justement qu’elles l’auront voulue avec trop d’ardeur ! D’où en effet une bousculade, qui témoignerait d’autre part que les dieux n’ont pas su régler avec ordre la procession qu’ils conduisent. En définitive la chute de l’âme supposerait donc bien plutôt malchance et maladresse que mauvaise volonté et faute morale. Ce n’est pas tout : les conséquences de cet accident, qui manifestement ne lui est pas de tout point imputable, seront aggravées du fait que l’une en sera punie plus cruellement qu’une autre, puisque l’échelle des prédestinations en est une des punitions. — À ces difficultés Platon a opposé la solution où, par la suite, viendra toujours se réfugier l’optimisme : il faut qu’il y ait du mal puisqu’il y a du bien et, s’il y a un premier rang, il faut qu’il y en ait un dernier ; mais toutes choses sont cependant arrangées pour le mieux et chacun est au rang qui lui convient ; après tout, si l’on n’était pas tombé, on n’aurait aucun mérite à se relever (Lois X 903 b sqq. surtout 904 a-c). Et en effet, si nous avons été malchanceux dans notre vie céleste, il nous appartient par notre conduite ici-bas de compenser la prédestination qui est résultée de cette malchance.