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PHÈDRE

prétations les plus grossièrement réalistes de la doctrine de son maître. Ainsi, sans être à proprement parler une chose éternelle, l’âme a dû toujours exister comme principe de son propre mouvement et du mouvement de tout le reste. Mais pour expliquer cela il faut, semble-t-il, qu’elle soit tripartite ; bien plus, la tripartition que j’ai cru trouver dans l’âme essentielle du Timée le fait mieux comprendre encore que la tripartition du Phèdre. Si en effet l’âme est motrice de nature et par elle-même, c’est parce que dans sa nature il y a de l’Autre ; cela ne s’explique pas par la présence en elle de l’Indivisible et du Divisible, dont le rôle est différent comme on le verra plus tard (p. cxxxiii) ; pas davantage par l’introduction du Même seul dans l’essence mixte, car l’âme n’aurait alors la possibilité d’aucun changement (57 e), fût-ce celui qui consiste à tourner sur soi-même sans changer de place. De l’Autre au contraire dériverait en elle la possibilité du mouvement, puisque ce dernier, d’après la doctrine du Timée (58 a ; cf. 52 e, 53 a fin et aussi 36 b, 57 ab), réside dans le Non-uniforme qui, à son tour, a pour condition l’Inégalité, c’est-à-dire des ruptures d’équilibre. Mais si l’Autre entrait tout seul, sans le Même, dans la composition de l’âme, le mouvement de celle-ci ne pourrait être qu’incohérent, perpétuellement déséquilibré, toujours dépourvu d’ordre et de mesure, bref tout pareil à celui qui résulterait de ce que le Timée appelle la « Cause vagabonde » ou la « Nécessité », si celle-ci n’était pas maîtrisée par la « Cause intelligente » et qui s’oriente délibérément vers le meilleur (30 a, 46 e, 48 a, 52 e). En résumé, il suffit de faire abstraction de la démiurgie mythique du Timée pour apercevoir entre ce dialogue et la démonstration du Phèdre un accord profond.

Âme et idées.

Il n’y a pas lieu de s’interroger ici sur les exigences logiques de cette interprétation : on pourrait en effet se demander si elle ne devrait pas être étendue au delà des âmes humaines, imitations imparfaites des âmes divines des astres, au delà même de celles-ci dont le rapport ne diffère pas à l’égard de cette âme-mère qu’est l’âme du monde sensible, et jusqu’à cet autre monde qui en est le modèle, jusqu’à ce monde intelligible auquel les derniers dialogues, plus spécialement le Sophiste (248 e sq.) et le Philèbe (30 cd, cf. 23 c), attribuent la vie,