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PHÈDRE

pal appât du mal, la douleur qui nous fait fuir le bien, l’audace et la crainte qui sont des conseillers déraisonnables ; s’il existe en elle une ardeur généreuse, elle est du moins emportée et n’écoute rien ; l’espérance se laisse aisément décevoir ; enfin la sensation est irraisonnée et l’amour, capable de toutes les entreprises. Aussi est-ce pour éviter la corruption du meilleur par le pire que la cloison du diaphragme a été mise devant le pire et que dans la poitrine a été logée une partie de l’âme qui, en même temps qu’elle ressent le contre-coup des agitations qui ont lieu plus bas, serait capable d’entendre parfois les ordres de la pensée. C’est donc que l’ardeur généreuse n’est pas toujours aussi imprudente et indocile qu’il semblait tout à l’heure. Il suffirait par conséquent d’envisager tous ces états dans l’âme d’un mortel philosophe pour que le caractère en fût radicalement changé. Peut-être est-il dès lors permis de penser que la perversité ne leur est pas essentielle et que ce qui les a pervertis c’est l’union de l’âme avec un corps de terre et mortel, auquel elle s’attache et dont le philosophe au contraire travaille à se dégager. C’est du reste ce que paraît dire Platon dans le premier des passages du Timée auxquels j’ai renvoyé. Or n’est-ce pas cela justement que le Phèdre appelle la chute de l’âme ?

Une seconde remarque prouverait d’une façon plus décisive encore que la doctrine du Timée ne diffère pas au fond de celle du Phèdre et des Lois. La nature parfaite de l’âme y est en effet, sans contestation possible, décrite comme composée. Bien plus, il y a double composition ; car l’âme que fabrique le Démiurge a pour essence propre un mélange de l’Indivisible, qui est l’unité de l’être de chaque réalité intelligible, avec le Divisible, qui est la multiplicité se déployant dans l’étendue ; puis à ce mélange sont à leur tour mélangés le Même et, par contrainte, l’Autre lequel est en effet une nature rebelle (35 ab : cf. 37 a)[1]. Ainsi donc la

  1. Il est impossible d’entreprendre ici une discussion d’un texte aussi épineux. Je dirai seulement qu’il semble difficile, avec A. E. Taylor (The Timaeus p. 107 sq.), d’identifier Même et Autre avec Indivisible et Divisible. En effet l’Autre a sa place dans le monde des essences absolues, tandis que la divisibilité selon le corps est quelque chose de l’âme, s’il est vrai, comme nous le verrons tout à l’heure (cf. p. cxxxiii), qu’à ce stade de sa pensée Platon ne conçoit pas d’âme qui ne soit l’âme d’un corps.