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NOTICE

soit d’interprétation allégorique, soit relatives à la détermination des sources, mais bien comme une occasion concrète pour la conscience de s’interroger elle-même. La curiosité historique est une chose et elle a certes son prix ; elle ne sert en revanche de rien pour apprécier la valeur, par rapport au vrai et au beau, de ce à quoi elle s’applique ; cela est d’un autre ordre et importe davantage au salut de la pensée.

Le rôle du mythe.

Un autre endroit du Phèdre mérite, pour l’intelligence du rôle des mythes, une attention particulière : on y trouve (276 e) une opposition fortement marquée entre le divertissement de l’écrivain qui « mythologise » sur le Juste, sur le Beau, sur le Bien, et le sérieux avec lequel, par le dialogue, le dialecticien s’applique à ces mêmes objets. On a eu raison[1] de rapprocher ceci d’un passage du Politique, 304 cd. L’Étranger éléate vient d’établir qu’il appartient à l’art politique de commander à tous les autres, parce que seul il sait dans quels cas il faut avoir recours à la force ou au contraire à la persuasion. Or l’art qui a le pouvoir de persuader la multitude, c’est la rhétorique, et il ne s’exerce pas sous la forme d’une instruction, mais sous la forme d’une mythologie. — Que la rhétorique soit un art de persuader et non d’instruire, c’est une conviction bien assise chez Platon[2]. Mais que cela se fasse par le moyen du mythe il n’y a, je crois, que ces deux passages pour nous le dire. Pensera-t-on que la rhétorique qui use du mythe pour persuader soit celle qui a été si rudement traitée dans le Gorgias ? ou celle qui, ici même, est envisagée avec moins d’âpreté peut-être, mais encore sans indulgence ? Il faudrait alors supposer que, dans l’un et l’autre passage, Platon a en vue des mythes rhétoriques ou sophistiques du type de l’Hercule au carrefour (cf. Banquet, p. 9, n. 3) ou du mythe de Prométhée et d’Épiméthée dans le Protagoras[3]. Sans doute est-ce à cela que Phèdre pense en effet. Mais on doutera qu’il en soit de même quand Socrate lui répond, et aussi que Platon, qui dans sa philosophie a fait aux mythes une si grande place, ait pu voir dans un artifice de la rhétorique des Sophistes un des moyens de gouvernement de son

  1. Thompson, p. xvi de l’Introduction à son édition du Phèdre.
  2. Cf. par ex. Gorgias 455 a, Théétète 201 a ; ici 260 a sqq.
  3. Voir A. Diès, Autour de Platon, p. 422, n. 1 et Notice p. liii.