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PHÈDRE

Le second épilogue (256 b 8 sqq.) concerne un délire d’amour où la philosophie n’a point de part, mais seulement un certain souci de l’honneur et qui cependant n’est pas exempt de quelque grossièreté. Les âmes des deux amants n’y sont pas sur leurs gardes ; elles sont donc sans défense si, du fait même de l’insouciance morale qui caractérise ce second couple, elles sont surprises par l’ivresse ou par quelque autre cause de moindre résistance. Alors s’établit en effet entre les forces indisciplinées de chacune des deux âmes un accord pour tendre au même but, qui est de se procurer un plaisir dans lequel le vulgaire voit le comble de la félicité (cf. 250 e fin). Or le choix d’un tel but, c’est par ce qu’il y a dans l’âme de plus mauvais qu’il a été dicté : ce n’est point par l’âme tout entière. Aussi ne s’étonnera-t-on pas que par la suite il ne se renouvelle qu’épisodiquement : en d’autres termes, la passion ne comporte pas cette continuité dans la communion de deux âmes, que nous offrait le cas précédent. Ce n’est pas à dire toutefois que ces amants-là ne soient pas fidèlement attachés l’un à l’autre : le culte qu’ils ont de l’honneur les empêche justement de trahir une amitié dont ils se sont donné des gages, à leurs yeux les plus certains qui se puissent. Sans doute n’ont-ils pas mérité le sort des premiers ; ils ont droit néanmoins à être récompensés des efforts qu’ils ont faits, dans leur délire d’amour, pour s’élever au-dessus d’eux-mêmes, et aussi du détachement que signifient ces efforts. N’ayant toutefois fait rien de plus ainsi que se mettre en route pour le céleste voyage, la mort les trouvera donc encore sans ailes, mais du moins allégés ; capables par conséquent, au lieu de descendre sous terre aux demeures d’Hadès, de monter au contraire, mais sans pouvoir dépasser les régions inférieures du ciel. Leurs âmes, toujours unies, y goûteront ensemble les joies d’une existence lumineuse. Puis, quand

    discours de Socrate était l’expression. N’étant la source d’aucun bienfait, sévèrement condamnée 256 e, elle ne peut en effet être mise en parallèle avec aucun délire divin, quel qu’il soit. La sagesse en amour n’a de prix que si elle sauvegarde la divinité du délire et si elle n’est pas un froid calcul ; elle caractérise celui des moteurs de l’âme qui est docile à la raison (cf. 253 d). Peut-on dès lors prétendre que le second discours de Socrate ne fasse qu’élargir, mais sans l’abandonner, le point de vue du premier ? La vérité semble être plutôt qu’on passe alors sur un plan qui est entièrement différent.