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NOTICE

font les manifestations de la bienveillance de l’amoureux (cf. 253 b fin). L’aimé en ressent des transports qui le mettent hors de lui-même : aucune tendresse ne lui semble comparable à celle d’un amant que l’amour inspire et qui est ainsi possédé d’un dieu (cf. 252 a). Avec le temps leur intimité devient encore plus étroite. Alors cette « vague de désir », l’himéros (cf. 251 c fin), qui a sa source dans le bel objet roule vers l’amoureux un flot plus abondant, et celui-ci s’en emplit jusqu’à déborder. Mais ce trop-plein, au lieu de se perdre, revient par le regard vers sa source à la façon d’un écho. Une fois que, ainsi réfléchi, il a comblé l’âme de l’aimé, les ailes de celle-ci reprennent leur vitalité, comme cela avait eu lieu, sous l’action brûlante de la beauté aperçue, pour les ailes recroquevillées de l’âme de l’amant (cf. 251 a-c). L’aimé à son tour est donc lui-même devenu un amoureux, et c’est ce qui le distingue de l’aimé du premier discours (cf. 240 de) qui, au lieu de s’éprendre de son amant, l’avait au contraire à charge un peu plus chaque jour. Voilà comment l’objet de l’amour en devient lui-même un sujet : un amoureux de son amoureux.

Deux amants :
le contre-amour.

Ainsi deux sujets de l’amour sont en face l’un de l’autre : qu’en résulte-t-il pour leurs rapports ? C’est sur ce point que va désormais se poursuivre l’analyse (255 d 3 sqq.). L’éclosion de l’amour chez celui qui n’était d’abord qu’un aimé a déterminé en lui un trouble qu’il ne s’explique pas (cf. 256 a déb.). La vérité est que, sans qu’il s’en rende compte, c’est lui-même qu’il voit dans son amant ainsi qu’en un miroir. Vision directe de l’amant et image réfléchie de l’aimé ne font plus qu’un. Aussi se manque-t-il à lui-même en quelque sorte quand son amant est éloigné de lui, et, quand il le retrouve, c’est vraiment lui-même qu’il retrouve, de sorte qu’aussitôt prend fin la souffrance qu’il éprouvait : réplique fidèle de ce qui avait lieu pour l’amant du fait que son aimé était absent ou présent (cf. 251 de). Une réplique, voilà en effet ce qu’est chez l’aimé cet amour qui est l’image réfléchie de celui de l’amant : un « contre-amour », un ant-éros[1], en

  1. Cf. p. 53, n.  L’Antéros est entendu ici au sens où le prend Eschyle, Agamemnon 544 : « Vous brûliez du désir de qui vous