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PHÈDRE

dans l’amoureux ;

Cette exposition est toutefois trop générale, et en outre elle ne considère qu’un seul des deux personnages entre lesquels se joue le drame visible de l’amour. Il faut donc reprendre l’analyse du drame intérieur, successivement dans l’âme de chacun d’eux, et d’abord dans l’âme de l’amoureux, autrement dit du sujet de l’amour (254 b 5 sqq.). Supposons que la vision flamboyante du bel objet ait réveillé dans l’âme de l’amant les souvenirs assoupis de la Beauté idéale et des autres réalités absolues que le cocher a jadis contemplées dans le voisinage de celle-ci. Une sorte de religieuse terreur s’empare de lui, il redoute de profaner ce qu’il vénère, il recule devant le sacrilège et il fait ainsi reculer les deux chevaux qu’il a charge de mener, l’un sans qu’il oppose aucune résistance, l’autre de vive force. Le premier a honte d’avoir oublié sa réserve coutumière ; le second est furieux de n’avoir pu aller jusqu’au bout de son désir. Ses exigences, auxquelles les deux autres ont d’abord imposé un délai, deviennent enfin si impérieuses que de nouveau, tous les trois, les voici en face du bien-aimé. De nouveau aussi le cocher est animé des mêmes sentiments de vénération craintive et, sous l’influence de la même cause, il se ressouvient de la Beauté en soi ; de nouveau il recule et fait reculer l’attelage. La même scène s’est-elle plusieurs fois répétée, la bête vicieuse est alors domptée ; la peur l’empêchera désormais de se révolter contre les décisions de son conducteur. De la sorte, en face du bien-aimé, une même attitude de respect et de réserve est commune à tous les acteurs du drame intérieur. Pour substituer cette attitude à la précédente, il a suffi que l’inquiétude désorientée du cocher fît place au ressouvenir de la Beauté vraie.

dans l’aimé.

Plaçons-nous maintenant au point de vue de l’aimé (255 a 1 sqq.), c’est-à-dire de celui qui, étant l’objet de l’amour, doit à son tour en devenir un sujet, aimant lui-même autant qu’il est aimé ; car sans réciprocité il n’y a point d’amour. Celui qui l’aime l’aime d’un amour sincère ; quant à lui, il ne peut s’empêcher d’avoir pour lui de l’amitié. Peut-être, à force de s’entendre dire qu’il est mal de fréquenter un amoureux, repoussera-t-il d’abord le poursuivant. Mais comment, s’il est bon, repousserait-il longtemps celui qui est bon lui aussi ? Ainsi s’établissent entre eux des relations, et plus immédiates se