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NOTICE

contraire ne cède qu’à la contrainte : il a partie liée avec la démesure et la vantardise. Aussi en face du bel objet ne se comportent-ils pas de même. Tandis que l’un garde la pudique réserve qui lui est ordinaire, l’autre va de l’avant avec violence, il se flatte d’être à même de procurer à l’aimé les plus vives jouissances. Quant au cocher, son état est complexe : l’émanation qui lui est venue de la beauté l’a échauffé (cf. 251 ab, c fin) et s’est communiquée à la totalité de l’âme, c’est-à-dire aux deux forces qu’il a pour mission de diriger ; or c’est cette chaleur qui, fondant une sève durcie, est capable de rendre à l’appareil ailé sa vitalité, mais en même temps il ressent ces mêmes piqûres que faisait endurer à l’âme l’absence de la beauté (cf. 251 de). Autrement dit, il est dans un état d’instabilité qui lui enlève son pouvoir de contrôle et de direction, si bien que les forces dociles à son action ne savent plus elles-mêmes à quoi obéir et que celles dont la tendance naturelle est déséquilibre et révolte finissent, après diverses alternatives, par prendre le dessus et conduisent au péché l’âme tout entière[1].

    cocher ». Or, le cocher qui sait ainsi se faire écouter, c’est l’intellect, conducteur ou pilote de l’âme (cf. 247 c fin).

  1. Ce passage difficile doit être interprété à la lumière des deux développements qu’il rappelle et auxquels j’ai renvoyé. Le mot dont use Platon 253 e 7, πόθος, signifie à la fois désir passionné et regret. Si on le prend au premier sens, on attribue au cocher une convoitise qui, d’après la description de Platon, est propre au cheval vicieux. Le second sens par contre implique chez le cocher le sentiment d’un manque, auquel s’oppose cette sensation généralisée de chaleur que provoque la vue du bel objet qu’il a devant lui. Hermias (196, 29-197, 7) a raison quand il note que la passion n’est pas le fait du cocher et que son désir ne peut aller que vers la Beauté absolue ; mais il a tort de prétendre que par « sensation » Platon a voulu désigner ici la « remémoration ». Tout au contraire cette sensation dont l’objet est une beauté empirique est nécessaire pour éveiller la réminiscence. Mais celle-ci ne se produit pas encore ; autrement, ce qui déjà aurait lieu, c’est ce qui sera décrit dans la suite immédiate. Donc ici la beauté est à la fois sentie comme présente puisque le bel objet est là, et devinée comme absente puisque la réminiscence de la Beauté absolue n’est encore qu’amorcée (cf. 254 b 6 sq.). C’est le mélange de sentiments contraires dont il était question 251 d.