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PHÈDRE

personnellement soumis : il le conseille et le dirige afin de l’élever à son niveau, et ainsi de l’élever, avec lui-même, au niveau de son dieu, car il n’est point jaloux de le voir devenir meilleur[1]. L’amant qui délire, quand son délire s’oriente, comme on l’a dit, vers le divin, quand ce délire est un retour aux contemplations de jadis, fait donc partager son délire à celui qui s’est laissé prendre à son amour.


Le drame intérieur de l’âme :

4. Il s’est donc laissé prendre : il était aimé, et voici qu’à son tour il aime. Comment cela s’est-il fait ? C’est une péripétie du drame qui se joue : quels sont les vrais ressorts de cette péripétie et quel y est le rôle des deux personnages ? Voilà ce qu’il reste à expliquer (253 c 7 sqq.). Le principe de cette explication est dans le mythe de l’âme : l’âme de chacun des deux personnages est en effet comme la coulisse où se joue secrètement un autre drame, qui a lui-même ses acteurs et ses péripéties. Aussi Platon nous invite-t-il tout d’abord à nous rappeler comment il a représenté la nature de l’âme par l’image de l’attelage ailé (cf. 246 ab) : les deux chevaux de l’âme et son cocher. Mais, s’il avait alors indiqué que des deux chevaux de tout attelage mortel l’un est bon et l’autre mauvais, il n’avait pas montré en quoi. Du portrait pittoresque qu’il en fait ici, les éléments en quelque sorte moraux sont les seuls que nous ayons à retenir. Le bon cheval aime la gloire, mais avec sagesse et mesure (σωφροσύνη), il a de la réserve (αἰδώς) ; il y a société entre lui et l’opinion vraie, c’est-à-dire qu’il lui est habituel de juger juste, mais sans que la rectitude de ce jugement soit fondée sur un savoir réel (cf. p. 49 n. 1) ; pour le mener, le cocher n’a besoin que de l’encourager de la voix[2]. L’autre au

    de l’art des initiations. Une dernière remarque : Proclus, dans son commentaire du Premier Alcibiade (p. 26 sq. Creuzer), fait une allusion textuelle à notre passage, mais en omettant, comme s’il en était embarrassé, les mots sur lesquels porte la présente discussion.

  1. Comme les dieux qui ne connaissent pas l’envie (247 a fin), et contrairement à ce qui a lieu pour l’amant sans amour du premier discours de Socrate (238 e-239 b).
  2. Le terme dont se sert ici Platon, λόγω, est d’une ambiguïté voulue : il signifie à la fois la parole et la raison. De même il dira plus bas du bon cheval (253 e 7 sq.) qu’il « obéit docilement au