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PHÈDRE

Hommes et bêtes.

Ce qu’il y a de plus important toutefois dans cette double eschatologie, ce sont deux principes par lesquels Platon a voulu résoudre deux problèmes qu’elle implique. — Le premier serait celui-ci. Puisque les bêtes sont des vivants et qu’il n’y a rien de vivant que par une âme, les âmes des bêtes viennent-elles aussi des hauteurs qu’avoisine le royaume de la pure intelligibilité ? et, si elles en sont descendues, comment leur pensée peut-elle être si pauvre et incapable de cette « réminiscence » qui est permise aux âmes humaines ? ou bien comment la richesse de pensée qui est en celles-ci pourrait-elle émerger de cette pauvreté ? Le réponse de Platon (248 cd) est que, à la première génération, ce n’est jamais dans un corps de bête que s’implante une âme déchue, mais toujours dans un corps d’homme, quel que doive être d’ailleurs son rang dans la hiérarchie des valeurs humaines ; que jamais une âme de bête ne peut donc revenir à un corps d’homme qu’à la condition d’avoir originairement animé un tel corps (249 b)[1] ; qu’un tel corps ne peut avoir enfin reçu d’autre âme qu’une âme ayant contemplé les réalités (249 e fin). Autrement dit, toutes les âmes des vivants mortels ont une nature identique et sont pareillement déchues, mais celles des bêtes sont des âmes frappées d’une pénalité additionnelle. Le second problème est connexe au précédent. Puisqu’une bête a nécessairement été un homme lors de la première généra-

  1. Il y a sur ce point quelque équivoque dans l’expression. En parlant ici d’âmes qui jamais n’ont vu la vérité et qui par là même sont incapables d’animer un corps d’homme, Platon semble admettre qu’il y a originairement des âmes de bêtes et que toute âme d’homme a eu au contraire originairement cette vision. Or, quand il a dressé le tableau des incarnations originaires, qui toutes sont des incarnations humaines, il paraît bien spécifier que les âmes inférieures sont des âmes qui n’ont pas vu la vérité (248 c 7). On pourrait être tenté de penser que ce sont, dans des corps d’hommes, des âmes de bêtes ; un peu plus loin en effet il est question d’hommes qui, dans les choses de l’amour, ne se comportent pas en hommes, mais en bêtes (250 e fin). Toutefois cette tentation échoue devant le texte décisif de 249 e fin. Il n’y a donc aucun doute sur l’intention profonde ; « ne pas voir » est pris au sens de « voir mal », et l’équivoque signalée est seulement due à l’élan lyrique de tout le morceau qui nuit parfois à la précision de l’expression.