Phédon. — Il y eut, dans son cas, Échécrate, une rencontre fortuite, celle du jour qui précéda le jugement avec le couronnement de la poupe du navire que les Athéniens envoient à Dèlos.
Échécrate. — Et qu’est-ce donc que ce navire ?
Phédon. — C’est le navire sur lequel, selon la tradition d’Athènes, Thésée transporta jadis la double septaine, garçons et filles, qu’il conduisait en Crète. b Il les sauva et se sauva lui-même[1]. Aussi, comme la Cité avait, dit-on, fait à Apollon le vœu, s’ils étaient cette fois sauvés, de diriger tous les ans un pèlerinage vers Dèlos, c’est ce pèlerinage annuel qu’on a toujours, depuis cet événement et jusqu’à maintenant, continué d’envoyer au Dieu. Donc, à partir du moment où l’on a commencé à s’occuper du pèlerinage, c’est une loi du pays que, tant qu’il dure, la Cité ne soit souillée par aucune mise à mort au nom du peuple jusqu’à l’arrivée du navire à Dèlos et son retour au port. Or c’est parfois une longue navigation, quand il arrive qu’elle soit contrariée par les vents. D’autre part, c le pèlerinage est commencé du jour où le prêtre d’Apollon a couronné la poupe du navire, et il se trouva, vous ai-je dit, que cela eut lieu le jour qui précéda le jugement. C’est pour cela que Socrate eut beaucoup de temps à passer dans la prison, entre le jugement et la mort[2].
Échécrate. — Mais les circonstances de la mort elle-même, Phédon ? Que s’est-il dit et fait ? Quels furent ceux de ses fidèles qui se trouvèrent à ses côtés ? Ou bien les Magistrats ne leur permirent-ils pas d’assister à sa fin, et celle-ci fut-elle, au contraire, sevrée d’amitié ?
dPhédon. — Pas du tout ! La vérité est que plusieurs y assistèrent, un bon nombre même.
Échécrate. — Tout cela, donc, empresse-toi de nous le rapporter avec toute la sûreté possible, à moins que par hasard tu n’aies quelque empêchement.
Phédon. — Non, vraiment, je n’ai rien à faire, et je vais tâcher de vous faire un récit détaillé. Aussi bien, me rappeler
- ↑ C’est, tous les neuf ans, le tribut consenti par Athènes pour obtenir de Minos la fin de la guerre par laquelle celui-ci vengeait le meurtre de son fils. Le troisième tribut fut le dernier : en tuant le Minotaure, Thésée, avec lui-même, sauva les autres victimes.
- ↑ Trente jours, dit Xénophon, Mémorables IV 8, 2. Cf. 116 c.