Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 1 (éd. Robin).djvu/82

Cette page a été validée par deux contributeurs.
lxxviii
PHÉDON

d’existence incorporelle[1]. Quant aux trépassés de vie moyenne, embarqués sur le fleuve Achéron, ils arrivent ainsi au lac Achérousias : c’est dans ce séjour qu’ils paient la peine de leurs fautes et reçoivent le prix de leurs bonnes actions : avant d’être relancées dans la génération, leurs âmes restent plus ou moins longtemps dans ce Purgatoire, lieu de purification et de rédemption (cf. 113 a). D’autre part, le Pyriphlégéthon et le Cocyte reçoivent chacun, après qu’ils ont séjourné dans le Tartare, une sorte particulière de grands criminels, tous ceux qui du moins n’ont agi que sous l’empire de la colère. Quand ces fleuves les ont conduits près du lac Achérousias, ces malheureux implorent à grands cris le pardon de leurs victimes qui, logées dans leur Purgatoire, ne sont pas elles-mêmes des âmes innocentes. Ont-ils enfin obtenu ce pardon ? Ils passent alors dans le lac[2] où s’achèvera leur rédemption. Sinon, ils doivent retourner au Tartare pour en repartir sur leurs fleuves respectifs. Quant à ceux dont les crimes ont été jugés inexpiables, ils sont immédiatement précipités dans le bouillonnant Tartare, d’où, au moins d’après l’eschatologie du Phédon (cf. p. 96, n. 1), ils ne ressortent plus ; ces âmes ne reviennent donc jamais à la génération : elles ne survivent que pour l’éternité de leurs expiations.

Tel est le mythe du Phédon. Moins purement eschatologique que celui du Gorgias, il fait pressentir les grands mythes cosmologiques du Phèdre et du livre X de la République, et même, plutôt par ce qu’il implique ou ce qu’il appelle que par ce qu’il dit, ceux du Politique ou du Timée.

  1. 114 c 3 : ἄνευ τε σωμάτων ζῶσι. Cette phrase fournit un significatif exemple de la façon dont les textes s’altèrent : Eusèbe (Praep. euang. XI 38, 569 a ; XIII 16, 699 c), pour effacer de l’eschatologie platonicienne une doctrine que contredit le dogme chrétien de la Résurrection des corps change σωμάτων en καμάτων : « ils vivent sans souffrances. » Et Théodoret (XI 24), qui copie la citation dans Eusèbe, répète cette pieuse correction.
  2. Puisqu’entre lui et les fleuves qui les portent il n’y a pas communication, on peut penser qu’il leur faut retourner au Tartare pour être de là transportés par l’Achéron jusqu’à son bassin. Mais Platon ne s’explique pas là-dessus.