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PHÉDON

vérité, la déduction d’où la preuve est sortie, mais plutôt notre droit à entreprendre une telle déduction. Il a raison : ce n’est pas assez en effet, dit Socrate, d’avoir donné sa créance aux postulats fondamentaux, il faut soumettre ceux-ci à un nouvel examen, pour les analyser à fond et les élucider[1]. La rigueur du raisonnement fera le reste (107 ab).

En d’autres termes le Phédon ouvre visiblement la porte à des recherches ultérieures. Il a en effet laissé dans l’ombre beaucoup de points importants. Si la mort est une séparation de l’âme et du corps, d’où vient que les âmes grossières et souillées, restant collées à leur corps, véritablement ne meurent pas ? que l’absence de corps soit seulement le privilège des défunts philosophes, tandis que les âmes des autres subissent dans l’Hadès, comme on le verra, des peines proprement corporelles et qu’elles y éprouvent des sentiments dont le Phédon a rapporté l’origine au corps (cf. 114 bc ; 66 c et surtout 82 d-83 d) ? De plus l’âme du Phédon, qui est pure pensée, est aussi pour notre corps principe de vie, cause spontanée de croissance et de mouvement : comment se lient entre elles ces deux propriétés ? laquelle est fondamentale ? appartiennent-elles l’une et l’autre aux âmes des bêtes comme à celles des Dieux et des hommes ? à l’âme universelle, s’il est vrai que le monde est un corps vivant qui se meut avec ordre ? Autant de questions auxquelles plus tard Platon a tenté de répondre : au livre IV de la République, par la doctrine de l’âme tripartite[2] ; dans le Timée, par la conception de deux âmes mortelles ; dans le Phèdre et au Xe livre des Lois, par une preuve nouvelle de l’immortalité qui se fonde sur l’automotricité de l’âme ; dans le Timée encore, en représentant l’essence de l’âme comme intermédiaire entre l’indivisibilité de l’essence intelligible et la divisibilité du corps sensible, puis en expliquant par les cercles mobiles de l’âme et par la relation en eux du Même et de l’Autre, à la fois les divers mouvements, uniformes ou non, du monde et des astres, et aussi la rectitude ou le désordre de notre pensée et de notre conduite ; en substituant plus ou moins radicalement, dans

  1. Il est possible que, en parlant de distinguer avec la plus grande précision possible tout ce qu’ils impliquent (107 b 5 sq.), Platon pense à cette dialectique ascendante qui nous élève jusqu’à des principes vraiment dominateurs, c’est-à-dire au τι ἱκανόν de 101 e.
  2. Voir p. xxi et p. 63, n. 2.