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NOTICE

tien vers des spéculations plus difficiles et qui réclament un surcroît d’attention.

Après ces remarques, l’objet propre du morceau qui sert de prélude à cette phase du dialogue semble assez clair : il est destiné à faire comprendre à la fois, et qu’il est vain d’opposer, comme l’ont fait Simmias et Cébès, croyance à croyance, ce qui est le propre de la controverse sophistique ; et que Socrate ne se proposera pas de réfuter leurs opinions, c’est-à-dire de nier à son tour, mais de conquérir un élément positif de vérité, qui lui avait sans doute échappé puisqu’il n’avait pas réussi à les convaincre. — C’est un grand mal, dit-il en effet, de détester en général les raisonnements et de devenir « misologue », comme certains deviennent « misanthropes », qui haïssent l’humanité tout entière. Or de part et d’autre la cause du mal est la même : c’est un usage aveugle et incompétent de l’objet ; tour à tour on passe d’une confiance irraisonnée à une défiance qui ne l’est pas moins. La pratique de la controverse « antilogique », en apprenant à justifier également deux thèses opposées, finit même par engendrer, en ce qui concerne la valeur de l’argumentation logique, un universel scepticisme, et à l’égard d’une réalité vraie comme d’une pensée vraie ; et l’on se figure avoir atteint ainsi le comble de la sagesse ! Mais c’est une vraie pitié que nos déconvenues relativement à des raisons capables, avec un même contenu, de passer tour à tour du vrai au faux et inversement, nous puissent porter à rejeter la faute, d’un cœur léger, sur le raisonnement en général. Car la faute est nôtre, s’il existe un raisonnement dont la vérité puisse être reconnue et ne se perde point ; cette faute est de ne pas posséder la technique (celle du dialecticien) capable de nous donner en effet une connaissance vraie de la réalité (89 c-90 d).

Ce qu’il faut donc en pareil cas[1] suspecter et incriminer avant tout, c’est notre propre santé et, pour la rendre bonne, faire un courageux effort. Au lieu de se comporter en grossier disputeur qui, sans souci de la vérité, ne vise qu’à imposer sa propre opinion à la conviction d’autrui, le philosophe ne voit là qu’une fin accessoire, et sa fin principale est

  1. Remarquer la reprise, 90 d fin, de la formule de 89 c fin ; la relation des deux parties du morceau est ainsi mise en évidence.