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PHÉDON

D’abord, si nous avons conscience de ce qui manque aux égalités sensibles pour être pareilles à l’Égal comme tel, c’est, nécessairement, que nous avons une connaissance préalable de ce dont, tout en restant toujours en dehors, elles tendent cependant à approcher ; connaissance chronologiquement antérieure à notre première expérience des objets qui nous ont fait penser à cette réalité pure. En second lieu, puisque la connaissance sensible est, bien qu’imparfaite, l’origine première de notre représentation d’une réalité parfaite, il faut bien que la connaissance de cette réalité provienne d’une autre source (74 d-75 c)[1].

Une double question se pose maintenant : dans quelles conditions avons-nous acquis cette connaissance ? de quelle façon la possédons-nous ? — Pour le premier point, la perception sensible commençant avec la vie, il est nécessaire que nous ayons acquis cette connaissance avant de naître, pour en disposer aussitôt nés : connaissance, non pas seulement de l’Égal, mais d’une façon générale de toutes les essences ou choses en tant que telles, sur lesquelles portent les questions et réponses du dialecticien (75 cd). — Pour le second point on se trouve en face de cette alternative : ou bien ce savoir est pour nous un savoir à vie et que nous n’oublions jamais ; ou bien au contraire nous le perdons en naissant[2], et nous en récupérons ensuite la notion comme de quelque chose qui est nôtre. Or la première hypothèse est fausse : savoir c’est en effet pouvoir rendre raison[3] de ce qu’on sait ; puisqu’en ce qui concerne les réalités absolues dont il s’agit chacun n’en est pas toujours capable, c’est donc qu’il ne s’agit pas d’un savoir qui soit constamment et universellement en notre pouvoir. Ainsi l’autre hypothèse est nécessairement vraie : on ne sait pas, on apprend, c’est-à-dire qu’on se ressouvient d’un savoir qui ne peut qu’être antérieur au temps où, devenant

  1. Comparer le mécanisme de la preuve cartésienne de l’existence de Dieu par l’idée du Parfait.
  2. D’après le mythe d’Er (Rep. X, 621 a), les âmes avant de revenir sur la terre boivent l’eau du fleuve d’Oubli (Amélès). Ainsi ne s’abolissent pas seulement sans doute les souvenirs de leurs existences humaines, mais aussi les souvenirs déjà retrouvés de leur existence antérieure.
  3. À soi-même comme à autrui : c’est la caractéristique du dialecticien, Rep. VII, 534 b. Cf. p. 57, n. 1.