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PHÉDON

ce n’est pas lui qui relie et supporte en vérité quoi que ce soit. Mais moi au contraire, pour savoir comment se comporte cette sorte de cause, avec quelle joie ne me serais-je pas mis à l’école de n’importe qui ! Puisque cependant la cause s’était dérobée à moi, puisque je n’avais eu le moyen, ni de la découvrir par moi-même, ni de m’en instruire près d’un autre, j’avais, pour me mettre à sa recherche, à « changer de d navigation »[1] : quelles peines j’y ai prises, désires-tu, Cébès, dit-il, que je t’en donne un exposé ? — Impossible assurément, répondit-il, de le souhaiter plus que moi !


La cause vraie est la Forme.

— Eh bien ! voici, reprit Socrate, quelles furent après cela mes réflexions, et depuis que je me fus découragé de l’étude de l’être : je devais prendre garde pour moi à cet accident dont les spectateurs d’une éclipse de soleil sont victimes dans leur observation ; il se peut en effet que quelques-uns y perdent la vue, faute d’observer dans l’eau ou par quelque procédé analogue l’image de l’astre. e Oui, c’est à quelque chose de ce genre que je pensai pour ma part : je craignis de devenir complètement aveugle de l’âme, en braquant ainsi mes yeux sur les choses et en m’efforçant, par chacun de mes sens, d’entrer en contact avec elles. Il me sembla dès lors indispensable de me réfugier du côté des idées et de chercher à voir en elles la vérité des choses. Peut-être, il est vrai, ma comparaison en un sens n’est-elle point exacte, 100 car je ne conviens pas sans réserve que l’observation idéale des choses nous les fasse envisager en image, plutôt que ne fait une expérience effective[2]. Toujours est-il que c’est du côté de celle-là que je me lançai. Ainsi, après avoir dans chaque cas pris pour base l’idée qui est à mon jugement la plus solide, tout ce en quoi je puis trouver consonance avec elle, je le pose comme

    ciel environnant : ainsi l’eau reste dans un vase qu’on fait tourner très vite. On peut songer aussi au tourbillon éthéré de Diogène d’Apollonie. L’autre opinion est celle d’Anaximène, d’Anaxagore, d’Archélaüs (cf. Arist. De caelo II, 13, 295 a, 13 ; 294 b, 13 sqq.).

  1. Cf. ce qu’a dit Simmias 85 cd, et voir Notice, p. xlviii, n. 2.
  2. Regarder le soleil avec ses yeux ou l’être avec ses sens, c’est s’aveugler à plaisir (cf. 96 c, 97 b). L’être se contemple par la pensée et dans les Idées, qui n’en sont donc pas de simples images.