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PHÉDON

bien commun de toutes. Ah ! pour beaucoup je n’aurais pas cédé mes espérances ! Avec quelle ardeur au contraire je me saisis du livre ! Je le lisais le plus vite possible, afin d’être au plus vite instruit du meilleur et du pire.

« Eh bien ! adieu la merveilleuse espérance ! Je m’en éloignais éperdument[1]. Avançant en effet dans ma lecture, je vois un homme qui ne fait rien de l’Esprit, qui ne lui impute non plus aucun rôle dans les causes particulières de l’ordre des choses, qui par contre allègue à ce propos des actions de l’air, de l’éther, c de l’eau[2], et quantité d’autres explications déconcertantes. Or son cas, me sembla-t-il, était tout pareil à celui de quelqu’un qui, après avoir dit que dans tous ses actes Socrate agit avec son esprit, se proposant ensuite de dire les causes de chacun de mes actes, les présenterait ainsi : Pourquoi, d’abord, suis-je assis en ce lieu ? C’est parce que mon corps est fait d’os et de muscles ; que les os sont solides et ont des commissures qui les séparent les uns des autres, tandis que les muscles, dont la propriété est de se tendre d et de se relâcher, enveloppent les os avec les chairs et avec la peau qui maintient l’ensemble ; par suite donc de l’oscillation des os dans leurs emboîtements, la distension et la tension des muscles me rendent capable, par exemple de fléchir à présent ces membres ; et voilà la cause en vertu de laquelle, plié de la sorte[3], je suis assis en ce lieu ! S’agit-il maintenant de l’entretien que j’ai avec vous ? Il serait question d’autres causes analogues : à ce propos on alléguerait l’action des sons vocaux, de l’air, de l’audition, mille choses encore en ce genre ; et l’on n’aurait cure de nommer les e causes qui le sont véritablement. Or les voici : puisque les Athéniens ont jugé meilleur de me condamner, pour cette raison même, moi à

  1. Anaxagore a failli à ses promesses ; de même (sans le nom) Lois XII, 967 b-d, et cf. Arist. Metaph. Α 3, 984 b, 17 sq. ; 4, 985 a, 18-21.
  2. L’Esprit ne donne que la chiquenaude et l’arrangement se machine ensuite tout seul. La première brisure dans le mélange primitif de tout avec tout détermine en lui une rotation qui, en s’étendant, multiplie les séparations : ce qui est chaud, lumineux, sec, subtil se sépare de ce qui est froid, sombre, humide, dense ; d’où l’éther et l’air ; puis de l’air se séparent l’eau et la terre. Dans la physique du Timée le mécanisme est, au contraire, dirigé par la pensée du bien chez le Démiurge, avec les Idées pour modèle.
  3. Socrate reprend momentanément la position décrite 60 b