Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 1 (éd. Robin).djvu/226

Cette page a été validée par deux contributeurs.
97 a
68
PHÉDON

l’une à l’autre, devenaient deux ! Car, j’en suis ébahi, quand chacune d’elles était à part de l’autre, chacune d’elles était bien une, et il n’y avait pas alors de deux ; mais elles se sont rapprochées, et voilà qu’ainsi se produisait en elles la cause de la production du deux : je veux dire la rencontre résultant du rapprochement mutuel de leurs positions ! Au reste, dans le cas du fractionnement de l’unité, je ne suis pas moins incapable, une fois de plus, de me persuader que cette cause de la production du deux, ce soit alors le fractionnement qui l’ait fait se produire ; car c’est en son contraire que s’est changée la première cause de la production du deux ! b Dans ce premier cas en effet, la raison était qu’on amenait les deux unités à se rapprocher et qu’on ajoutait l’une à l’autre, et maintenant c’est qu’on les écarte et qu’on les sépare l’une de l’autre. Quant à savoir en vertu de quoi se produit l’unité, là-dessus encore je ne me fais pas de conviction ; pas plus, d’un mot, que sur rien d’autre quant à la cause de son apparition, de sa disparition ou de son existence : voilà l’effet de ce procédé de recherche. De mon côté, pourtant, au petit bonheur j’en brasse confusément un autre ; car, pour celui-là, non, il ne me va pas du tout[1] !

« Or voici qu’un jour j’entendis faire une lecture dans un livre qui était, disait-on, d’Anaxagore et où était tenu ce langage : « c C’est en définitive l’Esprit qui a tout mis en ordre, c’est lui qui est cause de toutes choses »[2]. Une telle cause fit ma joie ; il me sembla qu’il y avait, en un sens, avantage à faire de l’Esprit une cause universelle : s’il en est ainsi, pensai-je, cet Esprit ordonnateur, qui justement réalise l’ordre universel, doit aussi disposer chaque chose en particulier de la meilleure façon qui se puisse : voudrait-on donc, pour chacune, découvrir la cause selon laquelle elle naît, périt ou

    cations de la Physique ; ce dont il était certain avant de les connaître n’est ensuite pour lui qu’incertitudes : cette méthode ne satisfait donc pas son désir de savoir.

  1. Inassouvi, son désir de savoir le pousse cependant à chercher par lui-même ; mais ce sont des tâtonnements d’aveugle, cf. 96 c.
  2. « Comment devaient être les choses, comment furent celles qui ne sont plus, et comment elles sont, c’est l’Esprit qui a tout arrangé » (Anaxagore, fr. 12 Diels) ; il est souverain, autocratôr (Crat. 413c). — Avant de prendre lui-même le livre (98 b ; Apol. 26 d), Socrate en a entendu lire un fragment : par qui ? par Archélaüs ?