Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 1 (éd. Robin).djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.
xviii
PHÉDON

Socrate en songe, c’est lui qui a retardé sa mort et lui a donné ainsi le temps de se mettre en règle ; comme les cygnes Socrate est à son service, et c’est de lui qu’il tient ses dons prophétiques[1]. Dévotion particulière qui, d’ailleurs, se rattache à l’idée générale que nous sommes la chose des dieux et que nous ne devons pas, par le suicide, déserter arbitrairement la tutelle de ces maîtres excellents, avec lesquels le Juste après sa mort est assuré de vivre en société. Et c’est encore à cette pensée religieuse que se rapportent ses dernières paroles, sur le vœu fait à Esculape[2]. Le rôle capital qu’il donne aux notions de purification et d’initiation témoigne de l’influence de l’Orphisme : soit qu’il s’agisse de susciter des réflexions rationnelles ou de les dépasser par des représentations figurées et mythiques, c’est sur des révélations mystiques qu’il s’appuie et sur des traditions religieuses[3]. Homme inspiré et prophète, le Socrate du Phédon est en outre l’apôtre passionné de la mortification. La foi et l’espérance dont il travaille, parfois avec les accents d’une brûlante éloquence, à communiquer l’ardeur à ses amis, ont pour objet la libération complète, qui doit purifier entièrement l’âme de la misère des passions et de la dépendance à l’égard du corps[4]. La vertu consiste à réduire autant qu’on le peut cette dépendance et à vivre par la pensée pure, à renoncer à tous les plaisirs corporels, aux richesses, aux soins et à la recherche de la toilette[5]. Ce Socrate a donc déjà les traits d’un Cynique, et on ne peut oublier que la Comédie les a vigoureusement soulignés. Mais par ailleurs il en possède d’autres grâce auxquels, évitant la forfanterie et le charlatanisme, bornant l’ascétisme à la maîtrise spirituelle, il lui conserve sa noblesse. Dans son zèle, son apostolat n’a rien de hargneux ni de brutal ; il est fervent, mais plein d’indulgence, et il s’efforce surtout de se faire aimer ; il ne proscrit ni les liens de famille, ni le respect des coutumes et des obligations sociales. Les actes moralement indifférents de la conduite extérieure, ou qui ne sont pas strictement exigés par les

  1. 60 e-61 b, 84 e sq.
  2. Pour tout ceci voir 61 c sqq. ; 63 bc, 69 d ; 111 b ; 118 a.
  3. Voir par ex. p. 17, n. 2 ; p. 21, n. 1 ; p. 22, n. 4 ; p. 40, n. 1 et n. 3 ; p. 41, n. 1.
  4. Notamment 66 b-67 b, 68 ab, 83 bc.
  5. Cf. 64 c-e, 68 b-69 d, 81 a-c, 82 c-84 b.