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PHÉDON

l’harmonie ! — Cela lui sied en effet ! dit Simmias. — Or ce langage, ajouta Socrate, n’a rien chez toi de concertant. Il faut alors voir, entre ces deux langages-ci, quel est celui que tu préfères : est-ce de dire que s’instruire est se ressouvenir, ou que l’âme est une harmonie ? — Ah ! Socrate, dit-il, c’est de beaucoup le premier que je préfère ! Quant à l’autre, en effet, l’idée m’en est venue sans l’appui d’une démonstration, à la faveur d’une convenance vraisemblable et d spécieuse, ce qui est également la source des opinions de la masse. Or, à mon sens, les arguments qui emploient les vraisemblances à l’œuvre de la démonstration, j’ai conscience que ce sont des charlatans, qui, si l’on n’est pas contre eux sur ses gardes, excellent à abuser, en géométrie comme partout ailleurs[1]. Au contraire, l’argument qui concerne le ressouvenir et l’instruction a été établi au moyen d’un principe qui vaut d’être admis[2]. On a dit en substance, en effet, que le mode d’existence de notre âme, avant sa venue dans un corps s’entend, est tel que le veut sa relation[3] avec cette existence qui porte le nom d’ « existence en réalité ». Or e ce principe, la chose pour moi ne fait aucun doute, j’ai pleinement été dans mon droit en l’acceptant. Aussi suis-je contraint, comme de juste, de ne permettre, ni à moi-même, ni à autrui, de dire que l’âme est une harmonie.

— Autre question, Simmias, reprit Socrate[4] : à ton avis, convient-il à cette harmonie, ou à toute autre composition, de se comporter en rien autrement 93 que les choses dont elle est constituée ? — En aucune façon. — Pas davantage certes, je pense bien, d’être agent ou patient par rapport à rien, en dehors de ce par rapport à quoi lesdits éléments peuvent être agents ou patients ? » Il l’accorda. « C’est donc qu’il ne convient pas à une harmonie de conduire les choses

  1. Simmias se reproche d’avoir cédé au penchant du vulgaire pour les vraisemblances spécieuses ; mais en quoi la géométrie illustrerait-elle un tel penchant ? L’intention est mystérieuse.
  2. Ce principe, c’est la théorie des Idées, 75 cd, 76 d-77 a.
  3. L’Idée est une réalité qui est nôtre avant la vie sensible (76 e) et que nous retrouvons ensuite comme un bien propre : le texte des manuscrits n’exige donc aucune correction.
  4. Socrate se met d’accord avec Simmias sur les différents points, qui serviront à approfondir sa critique (cf. p. 58, n. 1).