Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 1 (éd. Robin).djvu/102

Cette page a été validée par deux contributeurs.
60 c
6
PHÉDON

avait dans ma jambe la douleur, et voici maintenant qu’arrive, venant derrière elle, le plaisir ! »


Socrate poète.

Cébès interrompit : « Par Zeus ! je te sais gré, Socrate, de m’en avoir fait souvenir : à propos en effet de ces compositions d de ta façon, où tu as soumis au mètre chanté les contes d’Ésope et l’hymne à Apollon, on m’a demandé déjà de divers côtés, et en particulier avant-hier Évènus[1], dans quelle pensée depuis ton arrivée ici tu les avais faites, toi qui jusqu’alors n’avais jamais rien composé. Si donc tu te soucies que je sois en état de répondre à Évènus, quand de nouveau il m’interrogera (car je sais bien qu’il me le demandera !), parle, que faudra-t-il lui dire ? — Eh bien ! Cébès, dis-lui donc la vérité, répliqua-t-il : ce n’est pas dans le dessein de lui faire concurrence, et pas davantage à ses compositions, que j’ai composé celles-là : je le savais, e c’eût été difficile ! Mais c’était par rapport à certains songes, dont je tentais ainsi de savoir ce qu’ils voulaient dire, et par scrupule religieux au cas où, somme toute, leurs prescriptions répétées à mon adresse[2] se rapporteraient à l’exercice de cette sorte de musique. Voici en effet ce qui en était. Maintes fois m’a visité le même songe au cours de ma vie ; ce n’était pas toujours par la même vision qu’il se manifestait, mais ce qu’il disait était invariable : « Socrate, prononçait-il, c’est à composer en musique que tu dois travailler ! » Et, ma foi, ce que justement je faisais au temps passé, je m’imaginais que c’était à cela que m’exhortait 61 et m’incitait le songe : comme on encourage les coureurs, ainsi, pensais-je, le songe m’incite à persévérer dans mon action, qui est de composer en musique ; y a-t-il en effet plus haute musique que la philosophie, et n’est-ce pas là ce que, moi, je fais ? Mais voici maintenant qu’après mon jugement la fête du Dieu a fait obstacle à ma mort. Ce qu’il faut, pensai-je alors, c’est, au cas où ce que me prescrit si souvent le songe serait, en somme, cette espèce commune de composition musicale, c’est ne pas lui désobéir, c’est plutôt composer ; il est plus sûr en effet de ne point m’en aller avant d’avoir

  1. De Paros, Sophiste (cf. Apol. 20 b, Phèdre 267 a) ; ce qui a subsisté de ses vers est suspect. De même pour ceux de Socrate (Diog. Laërce II, 42).
  2. Un songe est une requête des dieux : impie qui n’y répond pas.