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Abel Bonnard



Abel Bonnard a réalisé ce miracle de ne point cacher sous les fabuleux trésors dont il est riche, la ligne rigoureuse du plus classique dessin.

Les plus beaux et les plus solides vers qui ont été écrits depuis quinze ans, sont pour moi, dans ses livres, des Familiers aux Royautès.

Seul parmi tous les poètes, Abel Bonnard pourrait passer sa vie à célébrer une rose.

J’ai lu quelque part qu’un jeune poète japonais apporta à son maître les petits vers ingénieux qu’il venait de composer :

  La libellule,
  Ôtez-lui les ailes,
  C’est un grain de piment rouge.

Le vieux-sage, indigné, corrigea sur-le-champ ce poème réaliste et reprocha vivement à son disciple d’avoir arraché les ailes de gaze de l’insecte, de l’avoir déchiré, abandonné dans la boue, réduit à un grain sur lequel on marche, et voici le poème tel qu’il le lui rendit :

  Un grain de piment.
  Mettez-lui deux ailes.
  C’est la Libellule !

Je ne connais qu’Abel Bonnard pour donner, à notre époque, cette haute leçon d’idéalisme et de poésie.



LE vieux coq


Il est blanchi, boiteux sur ses gros éperons.
Ses cris vers le soleil sembleraient des affronts !
Il est muet ; il est comme un palais qui croule.
Les grains qu’il veut lui sont volés par quelque poule.
Il ne sait d’où lui vient sa langueur ; autrefois
Il éclatait d’orgueil, de splendeur et de voix.