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si cela fût arrivé quelques minutes plus tôt, nous aurions été précipités la tête en bas dans les tourbillons des Cagnons[1]. Le timon ne pouvait plus se raccommoder. Le courrier détela donc les chevaux et les reconduisit à une maison qui était à un demi-mille de distance, tandis qu’à la lueur d’un grand et bon feu, car il faisait déjà nuit close, nous demeurions à la garde de son riche chargement. Au bout d’une heure, le conducteur était de retour, accompagné d’un ami qui amenait un grand wagon couvert, attelé de deux beaux chevaux de Californie. Ces animaux frais furent mis en tête, et nous partîmes avec nos deux paires de chevaux qui nous entraînaient à bride abattue. Nous avions alors deux conducteurs : l’un tenant les rênes, l’autre distribuant libéralement les coups de fouet. Le courrier avait rapporté une bouteille de whisky, et, dans les instants de loisir relatif que leur laissait leur double occupation, lui et son ami se mirent à la boire à longs traits. Bientôt ils découvrirent que les rênes des chevaux de tête ne se croisaient pas, et qu’elles ne servaient en rien pour conduire ; mais qu’importait ? Nos deux Californiens guidaient admirablement et décrivaient toutes les courbes avec une étonnante précision. Aucune route peut-être n’est plus dangereuse que celle-là ; mais nos deux hommes hurlaient et fouettaient, les bêtes galopaient avec fureur, le wagon bondissait en contournant les hauteurs escarpées et emportait des morceaux du sol dans sa course effrénée. Avant minuit, nous entrions à Yale. Les quinze derniers milles de cette effroyable route ne nous avaient pris qu’une heure.

Le lendemain matin, pour la seconde et dernière fois, nous quittions cette petite ville pittoresque ; nous redescendions le Fraser en bateau à vapeur et, le 25 novembre, nous débarquions une fois encore à Victoria.



  1. Voir p. 332 et suiv. (Trad.)