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PHILIPPE-LE-BEL. — BONIFACE VIII

Mais il en est qui n’arrivent pas, qui restent en chemin… La plupart de nos lecteurs se rappellent ici ce petit tableau de Robert, la pèlerine romaine assise dans la campagne aride ; elle ne voit ni ses pieds ensanglantés, ni son nourrisson sur ses genoux, altéré et haletant, pourvu qu’elle atteigne la colline bénie qui plane au loin à l’horizon : Monte di gioia !

Et quand le but du voyage, c’était Rome ! quand au renouvellement du siècle, au moment solennel où sonnait une heure de la vie du monde, on atteignait la grande ville, et que ces monuments, ces vieux tombeaux, jusque-là seulement ouïs et célébrés, on les voyait, on les touchait ; alors, se retrouvant contemporain de tous les siècles, et des consuls et des martyrs, ayant de station en station, du Colisée au Capitole et du Panthéon à Saint-Pierre, revécu toute l’histoire, ayant vu toute mort et toute ruine, on s’en allait, on se remettait en marche vers la patrie, vers le tombeau natal, mais avec moins de regret, et d’avance tout consolé de mourir.

L’Église, comme ces milliers d’hommes qui venaient la visiter, trouva dans ce Jubilé de l’an 1300 le point culminant de sa vie historique. La descente commença dès lors. Dans cette foule même se trouvaient les hommes redoutables qui allaient ouvrir un monde nouveau. Les uns, froids et impitoyables politiques, comme l’historien Jean Villani ; les autres, chagrins et superbes, comme Dante, qui, lui aussi, allait se faire son Jubilé. Le pape avait appelé à Rome tous les vivants ; le poète convoqua dans sa Comédie tous les