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HISTOIRE DE FRANCE

pas au delà. Je m’abstiens de franchir la montagne, de regarder l’Alsace. Le monde germanique est dangereux pour moi. Il y a là un tout-puissant lotos qui fait oublier la patrie. Si je vous découvrais, divine flèche de Strasbourg, si j’apercevais mon héroïque Rhin, je pourrais bien m’en aller au courant du fleuve, bercé par leurs légendes[1], vers la rouge cathédrale de Mayence, vers celle de Cologne, et jusqu’à l’Océan ; ou peut-être resterais-je enchanté aux limites solennelles des deux empires, aux ruines de quelque camp romain, de quelque fameuse église de pèlerinage, au monastère de cette noble religieuse qui passa trois cents ans à écouter l’oiseau de la forêt[2].

Non, je m’arrête sur la limite des deux langues, en Lorraine, au combat des deux races, au Chêne des Partisans, qu’on montre encore dans les Vosges. La lutte de la France et de l’Empire, de la ruse héroïque et de la force brutale, s’est personnifiée de bonne heure dans celle de l’Allemand Zwentebold et du Français Rainier (Renier, Renard ?), d’où viennent les comtes de Hainaut. La guerre du Loup et du Renard est la grande légende du nord de la France, le sujet des fabliaux et des poèmes populaires : un épicier de Troyes a donné au quinzième siècle le dernier de ces poèmes. Pendant deux cent cinquante ans la Lorraine eut des ducs alsaciens d’origine, créatures des empereurs, et qui, au

  1. App. 30.
  2. A côté de cette belle légende, où l’extase produite par l’harmonie prolonge la vie pendant des siècles, plaçons l’histoire de cette femme qui, sous Louis-le-Débonnaire, entendit l’orgue pour la première fois, et mourut de ravissement. Ainsi, dans les légendes allemandes, la musique donne la vie et la mort.