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ÉCLAIRCISSEMENTS

ce que l’homme rencontra, ce fut l’homme même. La partie humaine et naturelle du christianisme se développa de plus en plus et envahit l’Église. La végétation gothique, lassée de monter en vain, s’étendit sur la terre et donna ses fleurs. Quelles fleurs ? des images de l’homme, des représentations peintes et sculptées du christianisme, des saints, des apôtres. La peinture et la sculpture, les arts matérialistes qui reproduisent le fini, étouffèrent peu à peu l’architecture[1] ; celle-ci, l’art abstrait, infini, silencieux, ne put tenir contre ses sœurs plus vives et plus parlantes. La figure humaine varia, peupla la sainte nudité des murs. Sous prétexte de piété, l’homme mit partout son image ; elle entra comme Christ, comme apôtre ou prophète ; puis en son propre nom, humblement couchée sur les tombeaux ; qui eût refusé l’asile du temple à ces pauvres morts ? Ils se contentèrent d’abord d’une simple dalle, où l’image était gravée ; puis la dalle se souleva, la tombe s’enfla, l’image devint une statue ; puis la tombe fut un mausolée, un catafalque de pierre qui emplit l’église, que dis-je ? ce fut une chapelle, une église elle-même. Dieu, resserré dans sa maison, fut heureux de garder lui-même une chapelle[2].

La puissante colonne grecque, également groupée, porte à son aise un léger fronton ; le faible porte sur le fort ; cela est logique et humain. L’art gothique est surnaturel, surhumain. Il est né de la croyance au miraculeux, au poétique, à l’absurde. Ceci n’est pas une dérision ; j’emprunte le mot de saint Augustin : Credo quia absurdum. La maison divine, par cela qu’elle est divine, n’a pas besoin de fortes colonnes ; si elle accepte un appui matériel, c’est pure condescendance ; il lui suffisait du souffle de Dieu. Ces appuis, elle les réduira à rien, s’il est possible. Elle aimera à placer des masses énormes sur de fines colonnettes. Le miracle est évident. Là est pour l’architecture gothique le principe de vie : c’est l’architecture du miracle. Mais c’est aussi son principe de mort. Le jour où l’amour manquera, l’étrangeté, la bizarrerie des formes, ressortiront à loisir, et le

  1. La peinture sur vitres commence au onzième siècle. App. 145.
  2. Le croirait-on, Dieu n’a pas eu un seul temple, un seul autel, une seule image du premier au douzième siècle ? Il s’agit, bien entendu, de Dieu le Père, du Créateur. Le moindre moine qui passait saint avait son culte, sa fête, son église. Dieu apparaît pour la première fois à côté du Fils au commencement du treizième siècle et ne siège à la première place qu’en 1360. Voy. Renaissance, Introduction. (1860.)