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HISTOIRE DE FRANCE

cident n’adopte Alexandre et César qu’à condition qu’ils deviennent Occidentaux. On leur confère l’ordre de chevalerie. Alexandre devient un paladin ; les Macédoniens, les Troyens sont aïeux des Français ; les Saxons descendent des soldats de César, les Bretons de Brutus. La parenté des peuples indogermaniques que la science devait démontrer de nos jours, la poésie l’entrevoit dans sa divine prescience.

Cependant le héros n’est pas complet encore. En vain, pour y atteindre, le moyen âge s’est exhaussé sur l’antiquité, en vain pour compléter la conquête du monde, Aristote devenu magicien a conduit par l’air et l’Océan l’Alexandre chevaleresque[1]. L’élément étranger ne suffisant pas, on remonte au vieil élément indigène jusqu’au dolmen celtique, jusqu’au tombeau d’Arthur[2]. Arthur revient, non plus ce petit chef de clan, aussi barbare que les Saxons ses vainqueurs ; non, un Arthur épuré par la chevalerie. Il est bien pâle, il est vrai, ce roi des preux, avec sa reine Geneviève et ses douze paladins autour de la Table-Ronde. Ceux-ci, qu’apportent-ils au monde, après ce long sommeil où la femme assoupit Merlin ? Ils rapportent l’amour de la femme ; la femme, ce symbole de la nature, qui promet la joie infinie, et qui tient le deuil et les pleurs. Qu’ils aillent donc, tristes amants, dans les forêts, à l’aventure, faibles et agités, tournant dans leur interminable épopée, comme dans ce cercle de Dante où flottent les victimes de l’amour au gré d’un vent éternel.

Que servaient ces formes religieuses, ces initiations, cette Table des douze, ces agapes chevaleresques à l’image de la Cène ? Un effort est tenté pour transfigurer tout cela, pour corriger cette poésie mondaine, et l’amener à la pénitence. A côté de la chevalerie profane qui cherchait la femme et la gloire, une autre est érigée. On lui permet à celle-ci les guerres et les courses aventureuses. Mais l’objet est changé. On lui laisse Arthur et ses preux, mais pourvu qu’ils s’amendent. La nouvelle poésie les achemine, dévots pèlerins, au mystérieux Temple où se garde le trésor sacré. Ce trésor, ce n’est point la femme ; ce n’est point la coupe profane de Dschemschid, d’Hypérion, d’Hercule. Celle-ci est la chaste coupe de Joseph et de Salomon, la coupe où Notre-Seigneur fit la Cène, où Joseph d’Arimathie recueillit son précieux sang. La simple vue de cette coupe, où

  1. Voy. le poème d’Alexandre, par Lambert-le-Court et Alexandre de Paris, né à Bernay.
  2. App. 141.