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HISTOIRE DE FRANCE

les meurtriers pénétrèrent en effet jusqu’auprès du roi. Celui même qui avait arraché le cœur au soudan vint au roi, sa main tout ensanglantée, et lui dit : « Que me donneras-tu, que je t’aie occi ton ennemi, qui t’eût fait mourir s’il eût vécu ? » Et le roi ne lui répondit oncques rien. Il en vint bien trente, les épées toutes nues et les haches danoises aux mains dans notre galère, continue Joinville. Je demandai à monseigneur Beaudoin d’Ibelin, qui savoit bien le sarrasinois, ce que ces gens disoient, et il me répondit qu’ils disoient qu’ils nous venoient les têtes trancher. Il y avoit tout plein de gens qui se confessoient à un frère de la Trinité, qui étoit au comte Guillaume de Flandre ; mais, quant à moi, je ne me souvins oncques de péché que j’eusse fait. Ainçois me pensai que plus je me défendrois ou plus je me gauchirois, pis me vaudroit. Et lors me signai et m’agenouillai aux pieds de l’un d’eux qui tenoit une hache danoise à charpentier, et dis : « Ainsi mourut sainte Agnès. » Messire Gui d’Ibelin, connétable de Chypre, s’agenouilla à côté de moi, et je lui dis : « Je vous absous de tel pouvoir comme Dieu m’a donné. » Mais quand je me levai d’illec, il ne me souvint oncques de chose qu’il m’eût dite ni racontée[1]. »

Il y avait trois jours que Marguerite avait appris la captivité de son mari, lorsqu’elle accoucha d’un fils nommé Jean, et qu’elle surnomma Tristan. Elle faisait coucher au pied de son lit, pour se rassurer, un vieux

  1. Joinville. App. 129.