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GUERRE DES ALBIGEOIS

si elle quittait les Albigeois elle se trouverait sans ressources, il voulait se vendre comme esclave, pour avoir de quoi rendre encore cette âme à Dieu.

Tout ce zèle était inutile. Aucune puissance d’éloquence ou de logique n’eût suffi pour arrêter l’élan de la liberté de penser ; d’ailleurs, l’alliance odieuse des moines de Cîteaux ôtait tout crédit aux paroles de saint Dominique. Il fut même obligé de conseiller à l’un d’eux, Pierre de Castelnau, de s’éloigner quelque temps du Languedoc : les habitants l’auraient tué. Pour lui, ils ne mirent point les mains sur sa personne : ils se contentaient de lui jeter de la boue ; ils lui attachaient, dit un de ses biographes, de la paille derrière le dos. L’évêque d’Osma leva les mains au ciel, et s’écria : « Seigneur, abaisse ta main et punis-les : le châtiment seul pourra leur ouvrir les yeux[1]. »

On pouvait prévoir, dès l’époque de l’exaltation d’Innocent III, la catastrophe du Midi. L’année même où il monta sur le trône pontifical, il avait écrit aux princes des paroles de ruine et de sang[2]. Le comte de Toulouse, Raymond VI, qui avait succédé à son père en 1194, porta au comble le courroux du pape. Réconcilié avec les anciens ennemis de sa famille, les rois d’Aragon comtes de basse Provence, et les rois d’Angleterre ducs de Guyenne, il ne craignait plus rien et ne gardait aucun ménagement. Dans ses guerres de Languedoc et de haute Provence, il se servit cons-

  1. Acta S. Dominci : « Domine, mitte manum, et corrige eos, ut eis saltem hæc vexatio tribuat intellectum ! »
  2. App. 113.