Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 2.djvu/331

Cette page a été validée par deux contributeurs.
321
INNOCENT III

une hauteur immense, il n’en voyait que mieux les périls qui l’environnaient. Ce prodigieux édifice du christianisme au moyen âge, cette cathédrale du genre humain, il en occupait la flèche, il y siégeait dans la nue à la pointe de la croix, comme quand de celle de Strasbourg vous embrassez quarante villes et villages sur les deux rives du Rhin. Position glissante, et d’un vertige effroyable ! Il voyait de là je ne sais combien d’armées qui venaient marteau en main à la destruction du grand édifice, tribu par tribu, génération par génération. La masse était ferme, il est vrai ; l’édifice vivant, bâti d’apôtres, de saints, de docteurs, plongeait bien loin son pied dans la terre. Mais tous les vents battaient contre, de l’orient et de l’occident, de l’Asie et de l’Europe, du passé et de l’avenir. Pas la moindre nuée à l’horizon qui ne promît un orage.

Le pape était alors un Romain. Innocent III[1]. Tel péril, tel homme. Grand légiste, habitué à consulter le droit sur toute question, il s’examina lui-même, et crut à son droit. L’Église avait pour elle la possession actuelle ; possession ancienne, si ancienne qu’on pouvait croire à la prescription. L’Église, dans ce grand procès, était le défendeur, propriétaire reconnu, établi sur le fonds disputé ; elle en avait les titres : le droit écrit semblait pour elle. Le demandeur, c’était l’esprit humain ; il venait un peu tard. Puis il semblait s’y prendre mal, dans son inexpérience, chicanant sur des textes, au lieu d’invoquer l’équité. Qui lui eût

  1. On le nomma pape à trente-sept ans… « propter honestatem morum et scientiam litterarum, flentem, ejulantem et renitentem ». App. 107.